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Éditorial

« Vivre avec COVID »

Aïcha Ducharme Leblanc
21 mars 2022

Crédit visuel : Nisrine Nail – Directrice artistique

Un éditorial rédigé par Aïcha Ducharme-LeBlanc – Co-rédactrice en chef

Avez-vous entendu les dernières nouvelles ? La pandémie est officiellement terminée. C’est du moins ce que le gouvernement de Ford et les autorités sanitaires locales essaient de nous faire croire. Mais la pandémie n’est pas derrière nous, et les décisions irréfléchies prises par nos gouvernements vont avoir des conséquences importantes.

Le 9 mars dernier, le Dr Kieran Moore, médecin hygiéniste en chef de l’Ontario, a annoncé que l’Ontario supprimait l’obligation du port d’un masque dans la plupart des milieux à compter d’aujourd’hui le 21 mars. Un peu prématuré, vous ne trouvez pas ? 

Pourquoi lever toutes les restrictions maintenant ? Pourquoi ne pas opter pour un retrait plus graduel des mesures comme au Québec ? Eh bien, ce n’est pas ce que veut notre gouvernement ! Est-ce une coïncidence ? Juste après que le convoi de la liberté ait ravagé notre centre-ville, faire plaisir aux anti-masques et anti-vaccins et gagner une élection sont apparemment les seules actions qui importent à Ford.

Gaslighter le public

Plusieurs expert.e.s scientifiques se sont prononcé.e.s et désapprouvent cette abrogation précipitée des masques ainsi que la suppression des passeports vaccinaux. Notamment, Peter Jüni, directeur de la table scientifique COVID-19 de l’Ontario, qui vient d’ailleurs de démissionner, a déclaré à CTV News qu’il semble trop tôt pour lever le mandat des masques. De nombreux.euses détracteur.ice.s, notamment Naheed Dosani, médecin et professeur à l’Université de Toronto, estiment que le port du masque doit être maintenu pendant plus longtemps. La science n’y est donc pas favorable.

Dans son annonce du 9 mars, le médecin Moore cite explicitement « l’amélioration continue des tendances », c’est-à-dire la diminution de la transmission du COVID-19 dans les communautés, comme un raisonnement pour soutenir la levée des mesures sanitaires. Or, c’est une contradiction avec ce qui se passe réellement dans nos communautés. Dans une déclaration du 17 mars, la Santé publique d’Ottawa affirme que « les niveaux d’eaux usées et le taux de positivité des personnes testées ont augmenté, indiquant probablement une augmentation de la transmission ». Est-ce vraiment le moment opportun de cette levée des mesures de protection ?

Les Ontarien.ne.s ont besoin de conseils clairs en matière de santé publique et ils.elles ne les obtiennent pas, car les renseignements sont contradictoires, et ce, même au niveau municipal. 

Sam Hersh est membre du conseil d’administration d’Horizon Ottawa, un organisme axé sur les problématiques municipales à Ottawa. Hersh soulève que, d’un côté, la Santé publique d’Ottawa et Vera Etches, la médecin en chef de la région, appuient la fin du mandat du masque mais, de l’autre côté, elles recommandent hypocritement toujours le port du masque. Que devons-nous faire alors ? Sommes-nous encore plus perplexes ? Oui.

Hersh explique également qu’en vertu de l’article 22 de la Loi sur la protection et la promotion de la santé de l’Ontario, tout.e médecin hygiéniste en chef, comme Etches, peut ordonner au public de prendre des précautions, par exemple exiger le port du masque, lors d’une éclosion d’une maladie transmissible. Il déplore que celle-ci ait refusé d’utiliser son pouvoir à plusieurs reprises au cours de cette pandémie.

Ainsi, les autorités sanitaires se confondent et leurs messages mitigés, insistant sur le choix individuel, – porter un masque ou non – laissent planer le doute sur ce que nous devons faire à titre personnel. Ford et les autres responsables savent que la pandémie n’est pas encore terminée, mais semblent vouloir donner l’impression du contraire.

Notre société s’en fiche

Encore plus effrayant est l’impact néfaste que peut avoir cette décision sur les personnes vulnérables, notamment les personnes immunodéficientes et en situation de handicap. Hersh estime que le choix d’enlever les masques représente « une approche qui priorise la vie des personnes qui sont en santé, qui n’ont pas à faire face aux mêmes menaces que les autres ». Retirer nos masques revient à dire que la vie des personnes vulnérables ou en situation de handicap a moins de valeur.

Il est important de le dire, car si la levée des masques est la seule voie, toute tracée, vers la normalité, nous devons également reconnaître que la fin de ces mesures limitera la participation de certaines personnes à la vie sociale, culturelle, et politique pendant des mois, voire des années. Et beaucoup de ces personnes n’ont même pas les moyens de s’isoler. Elles doivent travailler, elles doivent aller à l’école, elles doivent se rendre à des rendez-vous médicaux et ainsi de suite. Vous voyez, les personnes vulnérables ne sont pas seulement des figures invisibles et inconnues, elles sont monsieur et madame tout le monde et elles sont encore plus présentes qu’on ne le pense.

Ce discours nonchalant et capacitiste promu par nos gouvernements,  « nous devons revenir à la normale », « les personnes vulnérables peuvent simplement rester chez elles », est égoïste et en dit long sur ce que notre société est en train de devenir. Ces propos constituent une sorte de permission, non seulement d’afficher notre manque de compassion, mais d’en être fier.ère, ordonnant aux personnes immunodéficientes ou en situation de handicap de suck it up. Qu’est-il arrivé à notre engagement sociétal de ne pas traiter ceux et celles qui sont différent.e.s avec indécence ?

Si, au début de la pandémie, comme le souligne Hersh, il fallait protéger la collectivité et fournir un effort collectif pour ralentir la courbe pandémique, c’est l’individualisme et le néolibéralisme de notre société qui transparaissent actuellement. Nous constatons dans quelle mesure le gouvernement est prêt à agir pour sauvegarder les profits d’une minorité, des riches, pour protéger les intérêts des corporations, des individus privilégiés et ce, aux dépens de la majorité, l’ensemble des résident.e.s, qui inclut les plus vulnérables.

Sommes-nous en train de dévier ou d’évoluer en tant que société ?

Des acteur.ice.s qui résistent

Malgré la déception qui nous entoure dans la prise de décision de nos institutions, et les fissures évidentes dans notre société, une certaine lumière s’allume.

Certaines institutions, comme l’Université d’Ottawa, défient ces manœuvres de santé publique irréfléchies en décidant de maintenir des mesures telles que le port du masque et la vaccination obligatoire. Elles comprennent visiblement l’importance de préserver la santé et la sécurité de leur communauté. Nous savons que cette décision permettra sans doute à certain.e.s membres de notre communauté de se sentir plus en sécurité en venant sur le campus jusqu’à la fin du semestre.

D’ailleurs, il faut saluer les commerces et musées, tels que le cinéma Bytowne et le Musée des beaux-arts du Canada, qui prennent l’initiative de maintenir les mesures sanitaires autrefois imposées par la santé publique. Il est regrettable que ces entreprises locales se voient contraintes d’agir seules, que le problème soit ainsi individualisé. Mais, leurs actes de résistance au gouvernement et de responsabilité sociale n’en sont pas moins honorables.

Quand le gouvernement, les autorités, échouent à leur devoir, les citoyen.ne.s peuvent s’affirmer, élever la voix, poser des gestes et agir.

 

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