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Opinions

Violences sexuelles : le cas de l’Université d’Ottawa

17 novembre 2014

Lorsque des hommes comme moi prennent la parole sur une question comme le viol, il y a toujours un malaise. Avant d’aller plus loin, affirmons immédiatement que le viol ne peut qu’être discuté que sous l’angle féministe. Pour le justifier, il faut considérer le féminisme comme une idéologie. Oui, il s’agit d’une idéologie et tenter d’en faire autre chose pourrait nous égarer, comme d’autres idéologies ont tenté de le faire ou le font encore (le capitalisme qui se déguise en science, le marxisme en vérité presque religieuse, etc.). Je n’adhère au féminisme et à ses thèses que sous cette condition. Le féminisme est également une idéologie, car il ne peut l’emporter que dans une lutte idéologique. Autrement, il laisserait la place à d’autres discours dont les intérêts divergent des siens. Les hommes, comme moi, peuvent-ils être féministes? En conscience, oui. Personne ne peut l’interdire comme tentent de le faire certaines féministes. Par contre, les féministes peuvent totalement douter de la sincérité de ces consciences. Et même qu’elles font bien, puisque, dans les derniers jours, nous avons vu des hommes prétendument féministes se faire pointer du doigt dans la vague du mouvement #AgressionNonDénoncée.

Sans être visible, notre campus est le terrain d’une violente lutte idéologique autour de la question de la sécurité des femmes. Une des faiblesses du mouvement féministe est son incapacité à en prendre acte via la construction d’une fiction décontextualisée. Cette fiction c’est celle d’un discours qui tend à caricaturier les courants anti-féministes voire sexistes qui pullulent sur le campus. Il est impératif de comprendre, et non de justifier, ce genre de discours. Il y a les manifestations évidentes, parfois spectaculaires, qui ont marqué les esprits. Ces évènements qui ont eu le mérite d’ouvrir un débat sur la culture du viol. Le problème est que ces cas particuliers ont au final pris plus de place que la question de fond. J’ai commencé à fréquenter notre campus en 2005. Pendant toutes ces années, on m’a confié toutes sortes d’histoires : baisers forcés, mains sous la jupe, commentaires déplacés, abus de pouvoir, humiliations, coups et blessures, etc. Le problème n’a pas débuté en 2014, mais mieux vaut tard que jamais pour en prendre conscience. Ma critique tient dans le fait que nous avons érigé les cas de l’an dernier pour justifier une indignation légitime, mais qui ne s’est traduite en rien de concret.

Oui, il y a eu des ateliers, et il y en a encore, organisés par la collectivité étudiante. Hélas, bien souvent, ces activités se contentent de prêcher à des convertis, à des gens déjà sensibilisés à divers niveaux. Si l’objectif est d’éliminer ou de faire reculer la culture du viol sur le campus, des mesures plus fortes se doivent d’être prises. Et oui, il y a énormément à faire. J’ai quelques suggestions qui visent à aller extirper cette culture là où elle se trouve. La Rotonde a bien fait de mentionner l’exploitation que fait l’administration des évènements de l’an dernier et de la culture du viol en général pour attaquer la liberté d’expression et académique des étudiants. L’inaction des associations étudiantes ouvre la porte à cela. Ce n’est pas à une administration au service du patriarcat d’assurer la sécurité et le bien-être des étudiantes.

Prenons le cas du bar étudiant, le 1848. Ce bar est un repaire de douchebagisme et de bro-culture. Comme espace de socialisation majeur, ce lieu doit changer. Les employés doivent être formés sur cette question. Une politique d’espace sécuritaire doit également être élaborée et affichée à la vue de tous. La semaine 101 présente des problèmes similaires. Sans en faire un bootcamp activiste, il faudrait revoir la formule ou même questionner sa pertinence quitte à la suspendre pour un temps. Finalement, il faudra tôt ou tard ouvrir le débat et promouvoir la liberté d’expression sur le campus. Par exemple, lorsque des conférenciers masculinistes veulent prendre la parole, plutôt que de les censurer, il faudra aller civilement à leur rencontre et entrer en contact. On pourrait organiser des discussions reflétant les diverses opinions sur ces questions. Les médias étudiants pourraient prendre le leadership sur cette question.

Certaines féministes pourraient voir ici un danger de normalisation dans ma proposition. Pourtant la norme c’est le sexisme, nous aurions tout à gagner. Mon objectif est que le féminisme atteigne l’ensemble de la communauté étudiante. Si nos thèses sont valides, ce sera l’occasion de les tester et de progressivement terrasser les discours opposés. Le féminisme radical est en piètre condition, il est mal compris et souvent remplacé par une imposture dite féministe mais alliée à l’establishment capitaliste, patriarcal et dominateur. Plusieurs progressistes ces jours-ci défendent le patriarcat en condamnant et relativisant la vague de dénonciations en cours. Sous les coups de ces attaques dans notre propre camp, cette tentative de renouvellement du féminisme et de transformation de la société est en danger.

En somme, il faut décomplexer le discours féministe que l’on prétend défendre et le mettre en rapport avec notre réalité. En ce sens, il faut totalement revoir notre culture militante sur le campus. Si l’on souhaite voir la société dans son ensemble se transformer, il faudrait déjà commencer par notre environnement immédiat. Comment? En trois étapes : 1. Identifier les lieux d’incubation de la reproduction patriarcale, 2. Prendre acte de la configuration idéologique et discursive de notre campus et 3. Développer des stratégies locales plutôt que de constamment s’aligner sur des campagnes nationales qui ne prennent pas en compte notre réalité spécifique.

– Hamdi Souissi, étudiant au doctorat en sociologie à l’Université d’Ottawa

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