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Procrastination

Venu le temps de la cathédrale – Le voyage de Gabrielle

9 février 2020

Crédit visuel : Gabrielle Lemire 

Par Gabrielle Lemire – Étudiante en échange à Strasbourg, France

330 marches à gravir dans cet habitacle aux allures de cachot médiéval pour arriver à la plateforme. Tout ça parce que l’humain a voulu monter vers les étoiles.

Après six mois en sol rhénan, c’est seulement en ce début février que j’allais poser le pied, ascension des 330 marches oblige, sur la plateforme de la cathédrale Notre-Dam de Strasbourg. Tout ce temps, sans l’avoir grimpée et en toute honnêteté, c’est parfaitement admissible.

Voyage mis en scène

En voyage, quelle qu’en soit la durée, faire dès le premier jour le pèlerinage des monuments historiques d’un endroit n’est certainement pas un pré-requis. Pourtant, c’est ce que semblent suggérer tous les tours de l’Europe dans le genre « 5 pays en 14 jours ».

Certes, les monuments faisant la notoriété de certaines villes valent la peine qu’on s’y attarde, mais il serait bien de garder en tête que le voyage ne se résume pas au fait de prendre la pose, souriante, devant une succession de vieux objets inanimés.

Ce n’est pas en suivant les parcours pré-établis et vantés dans les publicités de voyage qu’on accède réellement à la culture locale des endroits que l’on choisit de visiter. Une amie et partenaire de voyage à moi s’était d’ailleurs exclamée devant la Tour Eiffel : « Ouin, c’t’une grosse statue d’métal ».

Sans vouloir pour autant porter atteinte à l’emblème national, la ville de Paris, si l’on décide de la visiter – parce que c’est un choix tout à fait admissible que de ne pas le faire – il faut la vivre au-delà des clichés du Champ-de-Mars, loin des circuits qui proposent de la restauration rapide touristique rappelant l’angoisse de performance si présente dans notre quotidien nord-américain et qui nous suit maintenant à l’étranger.

Pour ma part, pendant les 100 premiers jours en France, cette tendance à la performance a pris d’assaut la scène de mes réseaux sociaux. À coup d’une publication presque chaque jour, j’entraînais les gens que ça intéressait dans mon tourbillon de nouvelles expériences, de rencontres, de repas typiques et de réflexions sur les différences culturelles.

Certes, ces publications empreintes d’authenticité et souvent réellement captées sur le vif laissaient paraître des expériences et des questionnements réels. Par contre, à un certain moment, une pression à façonner le voyage parfait, mi-planifié, mi-hasard, s’est faufilée dans mon quotidien, me poussant à anticiper avant de vivre et plus encore, de vivre pour le récit éventuel que je partagerais. Et c’était le cas pour cette ascension dans les flancs de Notre-Dame de Strasbourg.

À chacune des 330 marches, c’est à la manière de raconter cet épisode que j’ai réfléchi.

330 marches pour me tenir sur ce phare entre les Vosges et la Forêt noire, que Victor Hugo aura appelé « le prodige du gigantesque et du délicat ».

330 marches et l’impression de devoir justifier la raison pour laquelle je ne l’avais pas encore visité, surtout après l’avoir étudié dans un cours d’architecture gothique au semestre précédent.

330 marches et le sentiment de culpabilité en pensant au peu de nouvelles que j’avais donné à mes grands-parents au Canada qui m’avaient indiqué vérifier chaque matin si j’avais partagé une partie de mon voyage sur Facebook. 

Et puis, tout en haut, la certitude d’être la reine du monde. Ce qui n’aurait pas été si loin de la réalité si je l’avais montée en 1439, alors que l’achèvement de la flèche faisait de la cathédrale le plus haut monument chrétien que l’humanité ait bâti.

Rentabiliser son voyage

Au Moyen-Âge, l’humain.e a vraiment voulu monter vers les étoiles, vraisemblablement pour rejoindre un quelconque pouvoir divin. Encore aujourd’hui, l’humain.e a un intérêt pour l’ascension. Conquérir le ciel de nos constructions et l’espace, de nos expéditions. Grimper toutes les montagnes qu’offre le relief accidenté de notre Terre.

Pour ma part, je n’avais jamais compris l’utilité d’en grimper une avant de me tenir, en 2018, devant la vue à couper le souffle à partir du sommet du mont Wayna Picchu, surplombant le fameux site inca d’Aguas Calientes. Ça avait vraiment valu la peine.

Cette fois-ci, sur un tout autre continent, j’espérais que les 330 marches, qui s’empilaient derrière moi dans une ambiance très donjons et dragons, en valent autant la chandelle. Parce que la question de rentabilité de l’expérience restait centrale à mon voyage.

Les six derniers mois étant loin de m’octroyer le statut d’experte-voyageuse, je garde malheureusement cette fixation sur la question des expériences qui en « valent la peine », sur le séjour idéal. Comme si chaque moment devait être rentabilisé, qu’il fallait à tout prix que je donne l’impression d’avoir bien sélectionné les expériences que j’y ferais. Que je mette dans mes stories Instagram un séjour spontané, mais pas trop. Planifié, certes, mais juste assez pour mettre en scène les moments de hasard, comme un tutoriel de maquillage à apparence naturelle.

Il n’existe pas de recette pour atteindre le voyage optimal. Ce sont les détours et les imprévus authentiques qui forgent l’expérience qui opèrera réellement un changement en nous.

Ce sont des rencontres inusitées, des erreurs, des apprentissages et beaucoup de temps qui nous aura semblé perdu. Ce sont les moments qui arrivent derrière l’écran de la caméra, en marge des publications sur les réseaux sociaux, mais peut-être dans les pensées d’une Canadienne au sommet des 330 marches menant à la plateforme de Notre-Dame de Strasbourg.

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