Par Gabrielle Lemire
Quand on travaille pour un média, on ne peut pas couvrir tous les sujets artistiques, se scinder en dix pour courir aux portes des galeries, des théâtres et des concerts. Même si on voudrait tout voir, tout enregistrer, passer en entrevue tous les artistes imaginables, il faut faire des choix. Admettons que celui d’aller passer une heure en compagnie de Katherine Levac plutôt que d’aller écouter à Mike Ward n’a pas été des plus déchirants… Bref, c’est ainsi que jeudi dernier, je me suis rendue au Centre des arts Shenkman à Orléans en première médiatique de Velours, le premier one-woman show de Katherine Levac.
En première partie du spectacle de la Franco-ontarienne originaire de Saint-Bernardin, David Beaucage, co-auteur de Velours, a tendu plus que détendu l’atmosphère avec ses tentatives de personnages et la lecture de son journal intime tenu à 9 ans. Si Beaucage est selon ses dires le sosie d’ « un gars qui s’appelle Brandon à l’Université d’Ottawa », son style d’humour tantôt absurde tantôt malaisant est unique en soi.
Quant à Katherine Levac, elle n’avait rien d’un Brandon jeudi dernier. Ni d’aucun autre personnage qui lui ont assuré son succès dans le monde de l’humour jusqu’à présent. Malgré la soirée quasi 100% Katherine, son personnage de Paidge Beaulieu a fait une brève (et nécessaire?) apparition, incarnée dans la rencontre entre Levac et « la vraie Paidge Beaulieu », celle qui a inspiré le personnage. Sur la scène Harold-Shenkman, elle s’est présentée en toute authenticité, en simplicité, en légèreté. Les thèmes et les anecdotes se succédaient avec une souplesse que je n’ai pas souvent vue chez un.e humoriste.
Entre sa dénonciation des jeux quiz québécois et sa vendetta contre les femmes de 64 ans, Katherine se dit déçue de ne pas avoir eu une vie plus excitante, remplie de défis.
Katherine Levac, c’est moi… (bien, en plus drôle) mais à bien des égards, c’est moi. En provenance d’un petit village en Ontario? C’est moi. Passionnée de l’école et de tout ce qui est réussite académique? C’est moi. Déçue que sa vie n’ait pas été plus parsemée d’embûches intéressantes? C’est moi. Mais se sentant tout de même mise en cage dans cette volonté d’atteindre la perfection absolue en adoptant celle-ci comme standard? Ça aussi, c’est moi.
C’est aussi tous ces jeunes qui, au lieu de s’asseoir sur les valeurs et les encouragements de leur entourage, se servent de ce terreau fertile pour créer, pour exploiter leur potentiel au maximum. Un potentiel qu’il ne faudrait surtout pas gaspiller, n’est-ce pas? Parce que quand tout nous est donné en quelque sorte, la pression de réussir est telle que l’obsession de ne pas décevoir ne nous quitte jamais.
On en vient à se demander si les mini succès que nous accumulons ne sont pas dûs à la chance, à des conditions de performance favorables. Mais quand tout va bien, comment s’améliorer, comment être persévérant? Comment ne pas culpabiliser quant à notre existence privilégiée? La réponse est simple : performer à tout prix. C’est ce que Katherine fait et elle n’est pas la seule.
Ça me pousse à m’interroger sur la nécessité d’avoir vécu une enfance difficile ou quelque obstacle à l’adolescence (qui serait pire que « de voir un orignal ne pas se noyer ») pour que notre succès soit reconnu. Parce que c’est chose commune dans les médias de dresser un portrait d’un.e artiste sous l’angle d’une situation précaire qu’il ou elle a surmontée grâce à des efforts surhumains. Mais qu’est-ce qu’on raconte si l’artiste n’a pas eu de gros problème? L’intérêt du public est avide de scandales et de célébrités qui triomphent sur leur vie atroce.
Or le quotidien de l’humoriste de Saint-Bernardin a toujours été léger et sans obstacles. C’est ce qu’elle dénonce chez sa génération Y qui a eu tout cuit dans le bec, sans embûches réelles mais ayant reçu beaucoup d’encouragements. Pourtant, des anecdotes, elle en a plein les poches. Elle avoue entre autres faire partie de cette génération qui commence tout mais ne termine aucun projet… Une génération sans bâtons dans les roues pour qui c’est facile d’être déçu.
Et c’est ô combien facile de se décevoir soi-même aussi.
Katherine Levac n’a pas gaspillé son potentiel, loin de là. Et elle ne cache pas que des conditions favorables l’ont aidée dans son développement en tant qu’artiste. Sache Katherine que cet environnement positif n’enlève rien à tes accomplissements. Ça n’enlève rien à ton bac en théâtre et lettres françaises ni à ta graduation de l’École nationale de l’humour. Ni à ton personnage de Paige Beaulieu, ni au succès que connaît présentement Velours.
Quant à moi, le sprint continue pour ne pas perdre cette « longueur d’avance » et ça me soulage de trouver un modèle de réussite en Katherine Levac.
Et c’est certain que dans 8 ans, je vais me retrouver seule dans ma nouvelle maison à Montréal en train de crier « Les femmes ont le droit de vote maintenant! » aux esprits qui ouvrent le couvercle de ma boîte à bijoux… À suivre.