
Unity (1918): des comédiens audacieux pour une mise en scène efficace
Avec la pièce de théâtre Unity (1918), dont la dernière représentation a eu lieu le samedi 24 novembre, le metteur en scène et directeur du département de théâtre de l’Université d’Ottawa, Joël Beddows, lance plusieurs défis aux jeunes comédiens, relevés avec brio.
Un épisode canadien historique
Présentée à la Salle académique rue Séraphin-Marion, cette pièce de Kevin Kerr, traduite par Paul Lefebvre, plonge le spectateur dans un épisode historique pour le Canada: en 1918, les soldats rentrent chez eux après des mois de guerre. Leur retour s’accompagne d’une épidémie de grippe espagnole, qui fera plus de morts en un mois que la guerre n’en aura faits en quatre ans. Unity est le nom d’un petit village de la Saskatchewan, où se déroule l’action. Pour Karine Turner, l’une des spectatrices: « C’était très bien d’être plongés dans une époque que l’on n’a pas connue. Surtout dans le contexte du Jour du Souvenir, qui s’est déroulé la semaine dernière. J’ai aimé pouvoir obtenir une perspective de la Première Guerre mondiale, de gens qui sont restés en sol canadien et des soldats qui revenaient de leur conscription. » Joël Beddows, metteur en scène, voit dans cette pièce de théâtre une belle occasion, autant pour les comédiens que pour les spectateurs, de « creuser ce qu’est l’histoire pour eux aujourd’hui, de définir leur propre rapport à l’histoire avec un grand « H », de le voir comme étant un objet contemporain ». Pour lui, assister à la mort des personnages, causée par un événement qui s’est passé de l’autre côté de la mer, « est plus qu’ironique: c’est l’histoire qui rattrape l’humanité à tout moment. »
La guerre des femmes
Dans ce petit village des plaines, la guerre des hommes laissent alors place à celle des femmes, qui doivent informer la population – à l’instar des deux standardistes qui apprennent et diffusent aux autres habitants les nouvelles macabres –, embaumer et enterrer les morts – rôle assuré par Sunna, la croque-mort du village –, ou encore soigner les blessés et les malades – à l’image de Béatrice, l’héroïne qui s’improvise infirmière, interprétée par Alexandra Beraldin.
Le metteur en scène a d’ailleurs salué la prestation cette dernière, dont la première langue est l’anglais: « Je me suis dit: « ce défi de la langue va la rattraper ». Et ma deuxième réflexion était: « Tant pis, on est une école de formation et elle va quitter tout ça mieux formée: c’est ça, l’objectif ». » Mais ce n’est pas le seul défi lancé par Joël Beddows à la comédienne: « Elle était à l’extérieur de son casting typique. Elle ne joue jamais la jeune première. […] J’ai fait beaucoup d’anti-castings, des gens qui ne jouaient pas ce qu’ils ont déjà joué. Ça fait du bien ».
Chloé Tremblay interprétait pour sa part Sunna, la croque-mort, qui se consacre entièrement à sa tâche: « Elle voit les morts, elle les aide. On peut dire que c’est une figure de la mort, surtout pour le public: elle arrive avec la faux et avec son tablier couvert de sang… Mais, pour moi, c’est plutôt une jeune fille qui a un grand cœur ».
Julien Dancause, lui, jouait Glen, un soldat rentré du front. Pour le comédien: « C’est une belle aventure. C’est un théâtre qui était très loin du jeu naturaliste, on avait un univers où les cannes de beans servaient de téléphone. Cette mise en scène a instauré des codes. […] Au théâtre, on déforme un peu la réalité, on interroge, au fond, ce que le spectateur présuppose, on joue avec lui. »
« Un projet qui s’articulait autour du dépassement »
Après le spectacle, Joël Beddows, visiblement heureux, est revenu sur la production: « C’était vraiment un projet qui s’articulait autour du dépassement. La distribution était très importante: il y avait 14 acteurs sur scène, de la première à la quatrième année, vraiment distribuée de façon égale. Il y avait un véritable contact. Et ce que j’ai adoré de mon expérience en tant que metteur en scène, c’est que tous les comédiens ont travaillé très fort, ils ont tous appris, ils se sont dépassés dans une logique qui allait à l’extérieur de la vraisemblance et des zones de confort. Le pédagogue est ravi, parce que je trouve qu’ils ont fait des pas de géant avec cette production-là. Ce qui me rend encore plus heureux, c’est qu’ils sont très conscients de leurs lacunes. Ils ne l’ont pas considéré comme un projet pédagogique seulement, mais comme un projet artistique, en sachant que c’était impossible. Mais ils se sont lancés quand même: leur engagement était palpable à tout moment et c’est ce qui était peut-être le plus beau. »