Inscrire un terme

Retour
Actualités

Une autre accusation de corruption pour Trudeau ? 

22 juillet 2020

Crédit visuel : Adam Scotti – Prime Minister’s Office

Par Clémence Roy-Darisse – Journaliste 

L’organisme Unis, plus connu sous son pseudonyme anglophone We Charity, aurait reçu de la part du gouvernement Trudeau un budget de 912 millions de dollars afin de gérer un programme de bénévolat pour étudiant.e.s. Des membres de la famille du premier ministre, tel que sa mère, son frère, ou encore sa conjointe, auraient été payés d’importantes sommes contre des discours prononcés au sein de l’organisation. Trudeau entretiendrait également des liens étroits avec les deux cofondateurs de cette dernière. Une enquête menée par le commissaire à l’éthique et aux conflits d’intérêts Mario Dion est en cours. Y-a-t’il conflit d’intérêts ? Corruption ? Je fais le tour de piste sur la question. 

À première vue, lorsque j’ai entendu parler de cette affaire, j’ai crié au scandale à la corruption assez rapidement. Toutefois, après avoir rencontré Marc Tassé,  professeur à la faculté de droit et à l’école de gestion Telfer de l’Université d’Ottawa, et spécialiste sur la question de la corruption cette accusation s’est avérée plus complexe à émettre. 

Connaissant l’historique de Trudeau et de ses conflits d’intérêts passés (SNC Lavalin, son voyage à l’île Aga Khan); le premier ministre n’en est pas à son premier rodéo de scandale à la corruption. Je me disais que l’affaire Unis allait faire déborder le vase. 

Toutefois je me devais de m’informer avant de me prononcer sur la question. 

Les partis de l’opposition accusent le premier ministre d’avoir sous-traité le contrat de 912 millions de dollars. Cette enveloppe aurait été octroyée selon eux sans appel d’offre et devait permettre à l’organisation d’offrir aux étudiant.e.s admissibles jusqu’à 5000$ s en échange de bénévolat auprès d’organisations à but non lucratif. 

Trudeau se défend des accusations de corruption qui pèsent contre lui, protestant que c’était « la meilleure et la seule » organisation qui pouvait distribuer cet argent. Était-ce vraiment l’unique organisation à qui il était possible d’octroyer ces sommes ? J’en doute. 

Qui est We Charity

We Charity est un organisme dont la mission est de briser le cycle de la pauvreté en offrant des programmes de coopération internationale. Pour y arriver, il applique le modèle de développement international « unis pour un village » qui repose sur cinq piliers : l’éducation, l’eau, la santé, l’alimentation et les opportunités.

L’organisation caritative est fortement appuyée de célébrités telles qu’Oprah Winfrey, le prince Harry et sa femme Meghan Markle, Whoopi Goldberg ou encore David Suzuki, qui sont en échange payées pour livrer des discours sur les scènes des pays développés. À regarder leur site web, l’organisation semble « vendre » ses valeurs en utilisant des personnes des pays en voie de développement comme faire valoir.

Sophie Trudeau, femme du premier ministre est l’une des ambassadrices du volet « bien-être » de l’organisation ; elle anime entre autres un balado à ce sujet. Si Trudeau semble avoir également prononcé des discours pour l’organisation bénévolement, ce n’est pas le cas de sa mère, qui aurait été payée à plusieurs reprises entre 2016 et 2020 ; c’est le cas aussi pour le frère de Trudeau.

En plus de ce scandale, l’organisme semblait déjà être en bien mauvaise posture depuis plusieurs semaines, en raison des accusations de racisme pesant contre elle. Une pétition signée par plus de 200 employé.e.s, ancien.ne.s et actuel.le.s, a vu le jour suite à cela, demandant une « reconnaissance de la blessure, de la douleur et de la souffrance qu’ils, le mouvement WE […] ont causé à leurs parties prenantes : leurs employés. »

L’organisation caritative s’est rapidement excusée suite à ces allégations et s’est par la suite soustraite du contrat de 912 millions mis en place avec le gouvernement canadien. 

Cette organisation me semble de plus en plus louche et je doute de la sincérité de Trudeau. Pourquoi avoir cette organisation ?

Enquête du commissaire ou du comité de l’éthique ? 

Les partis de l’opposition, loin d’être satisfaits d’une simple enquête du commissaire de l’éthique sur la question, exigent une enquête de la part du comité de l’éthique. Les libéraux, quant à eux, prônent que cette affaire relève simplement du commissaire. 

De plus, l’opposition demande la mise en place d’une enquête du commissaire au lobbying, le cofondateur Marc Kielburger ayant eu des contacts avec Trudeau et n’étant pas enregistré au registre des lobbies

Pour le moment, le commissaire à l’éthique déploie une enquête sur le sujet afin de savoir s’il y a véritablement conflit d’intérêts. Car bien qu’aux yeux de tous, les liens étroits entre Trudeau et l’organisation suggèrent un tel type de conflit, rien n’est prouvé. 

Entre conflits d’intérêts potentiels et conflits d’intérêts réels 

Tassé explique qu’il existe trois types de conflits d’intérêts : perçu, potentiel et réel. 

Bien qu’il appuie que « Trudeau et les gens qui l’entourent auraient dû faire une petite analyse [pour déterminer s’il y a ces types de conflits d’intérêts] » avant de s’impliquer dans l’octroi du contrat, il affirme que les accusations relèvent présentement simplement de « spéculations. »

Il précise que les notions d’éthique et de conflit d’intérêts sont basées principalement sur une interprétation personnelle parfois subjective ; seule l’enquête du commissaire à l’éthique pourrait prouver quoi que ce soit. 

Il souligne toutefois que « la définition de l’éthique et du conflit d’intérêts de la part de Trudeau est parfois un peu différente de d’autres personnes. »  Trudeau semble définir l’éthique à son avantage.

L’affaire SNC Lavalin ou son voyage sur l’île d’Aga Khan ont déjà pointé du doigt le premier ministre pour corruption et conflits d’intérêts. Selon Massé, le commissaire à l’éthique pourrait percevoir le premier ministre comme un « récidiviste », sur ce type de scandale. Prouver cet argument n’est toutefois pas chose aisée.  

« Il y a la lettre de la loi et il y a l’esprit de la loi. Tu peux respecter la lettre de la loi sans respecter l’esprit de la loi […] Est-ce que Trudeau joue sur une situation où il y a certaine zone grise, une échappatoire ? Soit qu’il a enfreint une loi, soit qu’il a respecté […] la lettre de la loi et pas nécessairement l’esprit de la loi », explique Tassé. 

Trudeau connaissait probablement une échappatoire à la loi et à utiliser ce dernier à son avantage. Surtout que l’organisme Unis le vendait très bien à l’international. L’organisme était aussi en mauvaise posture financière durant le coronavirus; ce cachet aurait-il été une chance pour Trudeau de «sauver» le budget de ce dernier ?

Impacts importants sur la carrière politique

Dans le cas où les allégations de conflits d’intérêts importants et/ou de corruption découleraient du rapport du commissaire, un membre du parti de l’opposition pourrait soulever que Trudeau n’est plus apte à exercer ses fonctions de premier ministre. 

Il pourrait également lui être demandé de suivre des cours concernant  la corruption et les conflits d’intérêts, dépendamment de la gravité de l’accusation rapporte Tassé. 

Les impacts de cette affaire auraient été bien plus grands si la pandémie n’avait pas eu lieu. La pandémie a en effet accordé un pouvoir exécutif beaucoup plus important au gouvernement. Ce pouvoir découle de « l’état d’urgence » sanitaire, qui a été proclamé. 

Lorsque le gouvernement n’est pas en état d’urgence, un contrat donné de gré à gré, sans appel d’offre, est impossible :  « ça ne pourrait pas avoir été fait. Il y aurait une entrave au processus d’approvisionnement et d’octroi de contrats »,  appuie Tassé. 

Trudeau a été chanceux dans cette affaire et si nous n’avions pas été en pandémie le contexte serait bien plus grave. 

Pour qu’il y ait accusation véridique, le commissaire devra prouver que Trudeau et Morneau, le ministre des Finances également impliqué dans l’affaire ont influencé directement le processus décisionnel. 

La suite des choses 

Le président de la Chambre des communes décidera si cette affaire relève du comité de l’éthique. Si oui, il pourrait y avoir une commission parlementaire ce qui impliquerait à Morneau et Trudeau de comparaître et de témoigner. La décision d’une possible enquête du comité de l’éthique devrait avoir lieu dans les prochains jours. 

Le commissaire prendra quant à lui entre deux, trois et quatre mois pour exécuter son rapport. Ce dernier affirmera si l’on peut véritablement accuser Trudeau de corruption et de conflits d’intérêts. 

Quant à moi, je reste à penser que oui, il y a corruption et conflits d’intérêts. Trop de liens unissent Trudeau et Unis pour penser autrement. Connaissant l’image de marque du premier ministre et sa carrière de politicien basé sur son image médiatique supposément « progressiste », Unis contribuerait certainement plus à cette dernière qu’à l’épanouissement des communautés qu’ils servent dans les pays en voie de développement. 

Inscrivez-vous à La Rotonde gratuitement !

S'inscrire