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Arts et culture

Un soir d’été (suite)

3 février 2014

– Par Raph Koukamboulou-Yoyo –

Il était un village du nom de Steindorf, où l’on appelait tous les hommes par Herr ; un petit village où tout se savait et où les rumeurs allaient et venaient comme les vents marins. On raconte, à ce propos, qu’un marin aigri et dans la force de l’âge, un vieux loup des mers du nom d’Herr Gruber, dont on savait peu de choses, trouva un soir d’été un nouveau-né à sa porte. Le petit homme avait été abandonné, puis découvert par le marin dans un panier d’osier. La vie d’Herr Gruber s’en trouverait alors à jamais changée, car c’est ainsi qu’avait commencé la fabuleuse histoire de Little Feet.
Le vieux Gruber traversa par barque le fleuve qui séparait sa cabane du reste du village ; le bébé à l’arrière avait dormi profondément durant tout le trajet. Lorsque Gruber arriva au village, le bébé aux bras, il s’arrêta devant la porte d’une maison située rue Kaffee Street. Il avait décidé de s’adresser à la seule personne qui pourrait l’aider – On ne trouve pas un bébé abandonné à sa porte tous les jours. Il dut frapper plusieurs fois avant que l’on vienne lui ouvrir. Mademoiselle Margareten, encore endormie, les yeux mi-clos, fut surprise de le voir à une heure si tardive.
-Herr Gruber!…Que faites-vous ici?
Mademoiselle Margareten était une commerçante très populaire à Steindorf. Très gentille comme à son habitude, elle apporta un chocolat chaud au vieux Gruber confortablement installé sur le canapé du salon, pendant qu’elle berçait le bébé. Elle fut très touchée par l’histoire d’Herr Gruber, qui lui raconta comment il avait trouvé l’enfant devant chez lui, au retour d’une promenade dans les bois.
-Le pauvre petit, abandonné comme ça, lui dit-elle sur un ton affecté…Comment peut-on faire une chose pareille?
Albin Von Gruber de son nom entier de marin, posa alors à Mademoiselle Margareten la seule question qui lui importait vraiment.
-J’en fais quoi du petit moi?
Mademoiselle Margareten serrant le petit homme dans ses bras lui caressa la joue, d’un doigt. Elle regardait attentivement les magnifiques yeux verts de l’enfant, et répondit d’un ton grave.
-Tu dois descendre à la ville, pour l’amener à l’orphelinat. Ils en prendront soin là-bas.
Mademoiselle Margareten eut un pincement au cœur lorsqu’elle laissa partir Herr Gruber et le bébé ; elle se demandait quel malheur pouvait-il pousser une mère à abandonner son enfant, après avoir accompli une chose aussi merveilleuse que de donner la vie. Elle sortit de chez elle, descendit la rue et resta un long moment debout à regarder Herr Gruber disparaître avec l’enfant dans l’obscurité. Inquiète, elle fixait un peu plus loin la colline masquée par la brume. Une lumière semblait descendre de la colline. La lumière qui se rapprochait devint plus distincte. C’était le phare d’une moto. Elle était si vieille que les jeunes de Steindorf ne conduisaient plus de telles motos. C’était une Harley Davidson. L’engin doté de gros rétroviseurs pareils à des yeux de mouches, filait sous les étoiles. Il avançait sur Kaffee street avec la grâce d’un funambule. La moto franchit les derniers mètres de la rue et s’arrêta dans un nuage de fumée, juste en face de mademoiselle Margareten. A l’arrière un étranger enveloppé dans une cape était cramponné à deux hommes étrangement petits qui conduisaient la Harley, des Nains de Burbec. L’étranger descendit de la moto aidé des deux hommes-pouces ; lorsqu’il enleva sa capuche, une belle chevelure retomba le long de ses épaules. L’étranger était une femme.
-Ludmila! s’indigna Margareten qui ne la connaissait que trop bien, que fais-tu ici avec deux hommes-pouces! On risquerait de les voir! Puis elle se tourna vers les deux Nains.
-Artus! Prospin! Vous devriez avoir honte d’être aussi imprudents.
Ludmila toussa bruyamment.
-Est-ce une façon de recevoir sa sœur… Elle s’effondra au milieu de Kaffee street.
Margareten, Artus et Prospin se précipitèrent pour lui venir en aide. Lorsque Margareten passa la main sous la tête de sa sœur allongée sur la rue pavée, elle vit qu’elle était souffrante.
-Que t’est-il arrivé petite sœur?
Ludmila prit une grande inspiration et prononça avec douleur.
-Les mortifieurs
Artus ressentit une profonde terreur à l’écoute de ce nom. Prospin regarda Margareten d’un air grave. Cela voulait dire que le mal approchait des montagnes. Les yeux de Margareten se remplirent de larmes et de tendresse pour sa sœur.
-Ludmila, que se passe-t-il hors du village?
Ludmila qui suait à grosses gouttes saisit la chaîne qu’elle avait à son coup. Au bout de la chaîne se trouvait un pendentif taillé dans du diamant, à l’intérieur duquel brillait une intense lumière.
Margareten s’approcha du pendentif et regarda à l’intérieur. L’éclat de sa lumière éclairait son visage dans la nuit. Quelque chose d’inattendu se produisit alors ; Le diamant inonda la rue de lumière, une lumière d’une telle intensité qu’elle aveugla un instant Margareten et les deux hommes-pouces. Tout Kaffee street fut aussitôt éclairé comme en plein jour. L’instant d’après la lumière avait disparu, laissant place à un minuscule point lumineux à l’intérieur du diamant.
Margareten recouvrit peu à peu la vue, Artus et Prospin se frottaient les yeux.
-La lumière du monde! murmura Margareten troublée en scrutant le diamant sur les mains de sa sœur. Ce fut la dernière fois que Margareten parla à sa sœur ; Ludmila ferma les yeux, elle venait de mourir un soir d’été.
Arrivé à la gare de Steindorf, Herr Gruber fit un pas en arrière lorsque le train de la première heure arriva. Le convoi s’arrêta sur le quai en crissant sur les rails. Peu de temps après l’arrêt du transport, le contrôleur vérifia une dernière fois que les portes des wagons s’ouvrent bien de l’extérieur. Le petit homme s’était réveillé dans les bras d’Herr Gruber. Le bébé éclairé par la lumière radieuse du soleil, poussait des gazouillis et lui souriait. Le marin fut intrigué et comme touché par le petit homme. Il regarda un instant les pieds minuscules de l’enfant. Il n’avait jamais vu des pieds aussi petits. Herr Gruber s’adressa au bébé comme si il pouvait le comprendre
-On t’a déjà abandonné une fois petit homme, je ne t’abandonnerais pas une deuxième fois.
Herr Gruber fit alors demi-tour et quitta la gare avec l’enfant. En regardant de nouveau les minuscules pieds de l’enfant, le vieil homme amusé sourit pour la première fois depuis longtemps. Il murmura à l’enfant.
-Il nous faut te trouver un prénom, désormais on t’appellera Little Feet.

À suivre

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