Par Didier Pilon et Ghassen Athmni
Un discours paternaliste rôde : « vous devez voter ». On lance de gros mots : responsabilités sociales, valeurs démocratiques, devoirs citoyens. Mais quelles sont vraiment les forces et les lacunes du vote?
Le mérite du non-vote
Le discours pour le vote repose trop souvent sur des stéréotypes méprisables. Les gens qui ne votent pas, fait-on croire, sont soit paresseux et mal informés, ou ils ont de mauvaises priorités et aucun sens de l’engagement politique. Bref, on devrait avoir honte de ne pas voter. Même Rick Mercer, lors d’une entrevue à CBC, avoue que « peut-être qu’on humilie les gens pour qu’ils votent, je ne sais pas. Mais tant qu’ils votent, je m’en fiche. »
Toutefois, dans le cas des jeunes, les statistiques contredisent ces platitudes. Moins de 40 % des jeunes votent (comparé à plus de 70 % des 35 ans et plus), mais ils sont de loin les plus engagés politiquement. Les jeunes, plus que tout autre groupe, participent à des manifestations, boycottent des produits pour des raisons éthiques et revendiquent le changement de mille et une manières.
Ces activités politiques entrent souvent en conflit avec la démocratie représentative. En effet, plusieurs courants libertaires ou de gauche argumentent contre la participation aux élections parce qu’en déléguant sa voix à un représentant, on est amené à démissionner de la vie politique, à abandonner ses prérogatives et à laisser les politiciens gérer nos intérêts on ne sait trop comment. C’est un fling avec la politique, une fois chaque quatre ans.
Le non-vote – actif ou passif – est aussi un geste politique. Si l’on vote, c’est qu’on se sent interpellé par un sentiment politique, justifié ou non. « Ils sont tous pareils », « ça ne changera rien », « le système est défectueux » sont tout autant des sentiments politiques. Le non-vote est ainsi un vote contre l’entièreté du système. C’est une attaque à la légitimité de la machine politique.
Le mérite du vote
Si les jeunes ne se sentent pas interpellés par le système, c’est dans une certaine mesure parce que les partis achètent les votes et que les jeunes ne reçoivent rien.
La classe moyenne et la famille. C’est tout ce qu’on entend! Regardez les budgets. Quand on ne parle pas du niqab, on parle des soins de santé, des garderies, des foyers à deux salaires, des propriétaires de petites entreprises, et cetera. On murmure à peine au sujet de l’accès à l’éducation et de l’entrée dans le milieu du travail. Pourquoi?
Les politiciens prêchent pour leur paroisse : les 35 ans et plus qui votent plutôt que les 25 ans et moins qui voteront peut-être. C’est un cercle vicieux. Pour que les jeunes votent, les politiciens doivent s’intéressent à eux. Mais pour que les politiciens s’intéressent aux jeunes, ils doivent voter.
Même si le discours et la pratique des partis politiques convergent un peu trop souvent, il ne faut pas oublier que ces derniers ne doivent leur existence qu’aux divergences d’intérêts entre certaines classes sociales. Il en découle naturellement des divergences qui, selon les circonstances, peuvent changer la donne pour plusieurs groupes. Si l’on s’intéresse à l’impact des décisions politiques sur la vie des citoyens, il n’est pas difficile de distinguer lesquels créent le plus de dommages.
En fin de compte, le système s’en câlisse d’être légitime. Au contraire, l’élite dirigeante est parfaitement heureuse de négliger les jeunes pour autant que ça serve ses intérêts. Nous pouvons nous retirer du processus politique, mais il ne faut pas s’attendre à ce que les grosses compagnies en fassent autant. Ils ont beaucoup trop de privilèges et d’intérêts à protéger. Quand la gauche n’est pas là, la droite danse.
Une mission claire
Dans l’absolu, il y a certes de bonnes raisons de voter et de bonnes raisons de s’abstenir. Mais nous sommes dans l’immédiat. Le pays fait face à une crise : 10 ans de Harper. Cette crise a fait des ravages sur tous les fronts :
- Le gouvernement Harper n’a qu’empiré la condition des femmes : 75 % des bureaux de la Condition féminine fermés; le financement du Programme de contribution sur la santé des femmes éliminé; la violence contre les femmes négligée. Les Conservateurs ont même voté contre l’équité salariale!
- Le mépris des femmes se mêle au racisme. Plus d’un millier de femmes autochtones disparues ou assassinées et le gouvernement Harper refuse d’ouvrir une commission d’enquête. Les projets de loi islamophobes se multiplient : C-51, la loi sur les pratiques culturelles barbares, les certificats de sécurité, et cetera.
- Le rendement économique n’a jamais été pire. Deux récessions sous un seul premier ministre. La dette étudiante et le chômage chez les jeunes n’ont jamais été aussi élevés et l’inégalité des revenus n’a jamais augmenté si vite.
- Les Conservateurs ont éviscéré presque toutes les mesures qui protégeaient l’environnement. Ils ont bloqué l’évaluation écologique de plus de 3000 projets, menti ouvertement au sujet des émissions de gaz à effet de serre et muselé nos scientifiques. Presque 2,5 millions de lacs et de rivières ont perdu leur protection. Plus de 80 % de la vie aquatique est à risque d’extinction. Le Canada est le seul pays à s’être retiré du Protocole de Kyoto. Tout ça pour accommoder des pipelines!
Dans le cadre d’une stratégie politique à plus long terme, le vote doit être appréhendé pour ce qu’il est : une action ponctuelle qui permet de réaliser une mission donnée. Il ne fournit aucune transcendance et aucune valeur autre que celle de son action sur les forces en présence. Par conséquent, le non-vote est de la même nature.
Ce 19 octobre, il sera impossible de savoir dans quelle mesure les autres partis changeront vraiment les choses. On ne sait peut-être pas ce qui marchera, mais on sait très bien ce qui ne marche pas. Il n’y a qu’une manière de se débarrasser d’Harper : un vote à la fois.