– Par Mademoiselle Fifi –
Le feu : un vent capable d’exciter l’onanisme narcissique d’une coterie fascinée par le brouillard bancal soufflé par les propos fangeux d’un gourou aux prétentions hypocritement modestes qui s’émoustille à hypnotiser ses apôtres dans la complaisance de son échec de consécration; le tout servi avec cette mondanité typiquement universitaire de l’arrivisme soi-disant raffiné, du « populisme de pacotille » faussement dédaigné par l’appétit grotesque d’un carriérisme prêt à vous berner en vous faisant croire qu’il n’aime pas parler de lui avant d’enchaîner inlassablement expérience insignifiante après expérience insignifiante sur nulle autre chose que ses phantasmes et ses traumatismes personnels. Discours qui, au bout du compte, s’avère insipide parce qu’on ne récolte rien à fomenter du vide, fallacieux parce que convaincu dans son mensonge, paradoxal dans le génie de sa nullité, et qui n’a d’original que d’amasser la poussière entre les sections de jardinage et d’ésotérisme dans les bibliothèques municipales.
Nous anticipons son réflexe : rapporter ces phrases à une mécompréhension quelconque ou à un mauvais goût relevant de la convoitise, accuser la gifle, tendre l’autre joue avec pitié, dédain ou haine, enfin imputer cette catharsis (le terme est de lui) à ce manque de sensibilité propre à l’artiste — sensibilité constituante du feu il va sans dire. Oh! nous aimerions pouvoir disséquer avec vous ces ordures, analyser leurs composantes littéraires, mais l’homme est maladroit : aux téméraires désireux de s’attarder plus longuement à ce mystérieux feu, il répond volontairement (volontairement, parce que nous lui reconnaissons beaucoup d’intelligence) en divaguant. En vérité, nul ne sait (pas même lui — le « beaucoup » précédent était de trop) ce qu’on entend par « feu ». À l’interrogation, il faut imaginer la réplique, quelque chose du genre : « Le feu ne peut se comprendre que dans la dialectique d’un moi et d’un surmoi : il est cette ambiguïté refoulée dans la fourrure des lamas : on ne le saisit qu’en laissant glisser nos doigts sur ce duvet totalisant. » Remarquez que, loin de s’en plaindre, la plupart s’extasient des miettes byzantines qu’on leur jette, et, conséquemment, participent à cette mauvaise mascarade. Mais nous insistons : laissez ces graines germer au soleil de l’entendement et vous ne récolterez qu’un amas de lieux communs, les dépouilles nauséabondes du déjà-vu mille fois mieux exprimé.
Nous précisons. Les extraits qu’il nous a été pénible d’écouter s’articulaient autour de deux figures aujourd’hui analysées avec brio dans les annales littéraires : le poète maudit et l’homme fatal. Non pas qu’on ne puisse rien faire de bon avec ces topiques; mais la fresque du peintre est digne d’un des travaux qu’il corrige dans ses classes de prosélytisme créatif. Le personnage, un homme investit par l’expérience de l’Art malmené (les beaux-arts argentins, les graffitis) sinon inconnu (« Je parle d’un monde qu’on ne connait pas ici. »), du voyage (implicitement forcé donc inaccessible aux masses et réservé aux exilés) et libre des contingences ordinaires, fascine ces contemporains (il « pétrifie » ceux qu’il regarde, pulvérise de ses poings le violent) sur fond de mauvais dialogues hollywoodiens ou fétichise par réminiscence (comme Proust, mais sans aucune recherche) ce qui fait son unicité. Car — au cas où vous n’auriez pas encore compris — : « C’est le Christ venu du bout du monde. » Allez savoir pourquoi, ce prophète a les cheveux noirs, un teint basané, une voix grave, un accent difficile à retracer et se promène dans les cafés (indice : autoreprésentation). Mais je passe : ces fautes, si elles en constituent vraiment, relèvent peut-être d’un manque d’« attention » (jeu de mots permis par Yourcenar). Plus intrigants s’avère la structure phallocratique à peine déguisée, le culte et la recherche effrénée d’un père, la mélancolie d’un enfant et d’une mère conditionnée par cette absence; douce maman qui mourra brûlée dans une maison quand le monde de l’enfance du protagoniste sera détruit et sa mission pleinement révélée (piètre symbolisme); mission apparentée, évidemment, à celle du père (il vivra lui aussi l’exil, l’incompréhension); car les deux — la mère et le père — ne sauraient s’harmoniser dans la logique du récit (ce qui est étrange puisque dans la conférence la consanguinité entre le monde de l’artiste et l’enfance avait été faite; rapprochement, dans tous les cas, qui se rattache à une longue tradition). L’ensemble écrit par un être qui ne se réclame pas (tout à fait) de la psychanalyse et qui prétend dissocier théorie et fiction (oui, car il faut préciser que Bachelard, lui, s’occupe d’épistémologie). Malheureusement, celui qui lira dans cette même fiction : « Je ne suis pas un stéréotype. », n’y croira pas.
Que l’artiste (faisons-lui plaisir) crée, nous l’applaudissons. Que ses créations soient mauvaises, nous lui pardonnons. Mais qu’il pourchasse avec zèle un capital symbolique (n’oublions pas son dédain pour le « populisme de pacotille »), qu’il s’acharne avec entêtement à nous expliquer son originalité, qu’il considère sa vision du monde comme détentrice d’une vérité — de la vérité : le feu —, qu’il pense parvenir à la gloire en s’accrochant fermement (tristement si honnêtement) à une caricature et qu’il entraîne dans son délire d’aspirants intellectuels, nous le condamnons. Car ce professeur, dût-ce cela l’offenser, n’a rien d’un Prométhée, et de sa flamme, pour l’instant, nous ne trouvons rien de mieux que de nous torcher le cul.