
Trump, les tarifs et le Canada : une guerre commerciale en suspens
Crédit visuel : Hidaya Tchassanti — Directrice artistique
Entrevue réalisée par Charlie Correia — Journaliste
Depuis le 31 janvier, le président américain Donald Trump menace d’imposer des tarifs douaniers au Canada. Bien que ces tarifs ne soient toujours pas appliqués plus d’un mois plus tard, la menace reste d’actualité. La Rotonde s’est entretenue avec Jean-Thomas Bernard, professeur à la Faculté des sciences sociales en sciences économiques, dans le but de comprendre l’impact potentiel des tarifs.
La Rotonde (LR) : Qu’est ce qu’une guerre tarifaire ?
Jean-Thomas Bernard (JTB) : Une guerre tarifaire, , c’est l’imposition stratégique de droits de douane par un pays pour atteindre des objectifs précis. On utilise des tarifs comme levier pour inciter le pays ciblé à réagir – ou pas –, face à ces nouvelles restrictions commerciales.
LR : Quelles sont, selon vous, les motivations derrière cette décision de Trump ? Est-elle légale et bénéfique pour les États-Unis ?
JTB : Trump est un personnage complexe, avec différentes facettes. Il justifie ses décisions en invoquant des enjeux liés à la sécurité et à la santé des citoyen.ne.s américain.e.s. À l’origine, il avait avancé l’argument selon lequel le Canada et le Mexique, en tant que partenaires de l’Accord de libre échange nord-américain, ne contrôlent pas suffisamment leurs frontières, aussi bien en matière de sécurité qu’en ce qui concerne l’immigration.
Sur le plan juridique, bien que le libre-échange soit régi par un accord, c’est généralement la Chambre des représentants qui a la responsabilité d’imposer des tarifs aux autres pays, et non le président. Selon la Constitution américaine, cette prérogative relève normalement du Congrès.
En ce qui concerne les échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis, le Canada exporte davantage vers les États-Unis qu’il n’importe, ce qui entraîne un déficit commercial pour les Américain.e.s.
LR : En plus du Canada, les États-Unis parlent aussi d’imposer des tarifs à la Chine. Pourquoi la Chine ?
JTB : La Chine s’impose de plus en plus comme une puissance économique, tandis que les États-Unis ne cherchent pas activement à se faire des allié.e.s pour réorganiser l’ordre économique mondial. Les États-Unis semblent plutôt privilégier une approche axée sur l’autonomie, notamment en renforçant leur indépendance industrielle et en gardant un contrôle strict sur leur territoire. Ils maîtrisent déjà les dynamiques régionales impliquant le Canada, le Mexique et le golfe du Mexique, et bien que certaines tendances géopolitiques émergent, cela ne mène pas nécessairement à une nouvelle organisation mondiale unifiée. Et, un État qui s’impose, comme la Chine, constitue un obstacle pour Trump.
LR : Selon vous, qu’est-ce que Trump entend par atteinte à la sécurité du pays ?
JTB : Depuis quelques semaines, il invoque la question du fentanyl. L’an dernier, les États-Unis auraient intercepté environ 48 kilos en provenance du Canada. Il soulève également le sujet de l’immigration illégale, bien que la fermeture du chemin Roxham ait considérablement réduit le flux d’immigrant.e.s irrégulier.e.s entre les deux pays, le rendant marginal. Ainsi, bien qu’il puisse utiliser cet argument, il repose davantage sur des considérations politiques que juridiques. Il revient parfois sur ses positions, mêlant ainsi enjeux sécuritaires et économiques.
LR : Trump envisage d’imposer des tarifs sur une large gamme des produits. Quel secteur subira le plus de conséquences ?
JTB : Le discours de Trump n’est pas toujours cohérent et évolue constamment. Il s’agit d’une manœuvre stratégique ciblant certains produits et États où l’impact pourrait être significatif. Par exemple, le Canada importe une grande quantité de fruits et pourrait imposer des tarifs en réponse.
Toutefois, la position adoptée reste fluctuante. Les tarifs auront un impact sur le secteur alimentaire ainsi que sur d’autres industries, engendrant une grande incertitude sur le marché. Si la situation perdure, cela entraînera un coût supplémentaire à la charge de l’acheteur.se, tout en créant un écart entre le prix payé par le.la consommateur.ice et celui reçu par le.la producteur.ice.
LR : À votre avis, cette mesure aura-t-elle un impact sur la population étudiante ? Que devrait-elle faire pour y faire face ?
JTB : Évidemment, cette mesure aura un impact sur la population étudiante. Le budget consacré à l’alimentation représente tout de même 50 % des dépenses des étudiant.e.s, qui ont également d’autres charges à assumer.
Il est essentiel de vérifier la provenance des produits et l’emplacement de leurs usines de production. C’est la réaction la plus responsable que l’on puisse avoir en tant que consommateur.ice, et particulièrement en tant qu’étudiant.e. Il faudra cependant être vigilant.e sur nos choix de consommation, car le coût des produits risque d’augmenter.