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Par Yasmine Mehdi
Trois questions pour comprendre, avec Jean-Pierre Couture
- Qu’est-ce que la gentrification?
La gentrification est le visage géographique et urbain de la lutte entre les classes. Un quartier autrefois ouvrier et central retrouve de la « valeur » parce que le marché des banlieues est saturé. C’est une lutte des classes, car pendant que la bulle immobilière du tout-à-la-banlieue se maintient, les personnes les plus pauvres de la ville survivent dans des déserts alimentaires et sanitaires sans poids politique. Or à mesure que la banlieue atteint sa pleine limite géographique, la gentry (les bourgeois) entame un processus de prédation du centre-ville. L’embourgeoisement d’un quartier, sa gentry-fication, c’est le remplacement d’une classe d’habitants par une autre. Les pauvres perdent au change et ne peuvent plus se loger dans le quartier qui souvent les a vu naître.
- Pourquoi ce terme a-t-il une connotation si péjorative?
Cela dépend de la classe à laquelle on appartient. Je parle d’une dynamique à laquelle je contribue personnellement. En tant que salarié privilégié, j’habite le quartier du Vieux-Hull qui a été rasé par les pouvoirs publics dans les années 1970 et qui est aujourd’hui en proie à la gourmandise des promoteurs immobiliers. À ma hauteur, j’ai choisi le centre-ville par aversion pour l’automobile et la banlieue. Mon choix pour l’urbain, pour tout « subjectif’ qu’il soit, participe objectivement de la gentrification. Ceci dit, locataires et propriétaires occupants sont menacés de la même façon par les grandes puissances économiques qui sont en mesure de déprécier ou détruire le logis des uns comme des autres au nom de mirobolants mégaprojets. Là encore, le 99% est piétiné par le 1%.
- Y a-t-il des pistes de solution pour en contrer les effets négatifs?
Oui, c’est le devoir des pouvoirs publics et des plans d’urbanisme. Pauvreté, itinérance, logement abordable, et justice sociale relèvent de l’État. En l’absence de tels moyens, une gentrification sauvage déplace momentanément les pauvres, mais ne les fait pas disparaître. Les villes américaines sont les plus criminelles et dangereuses au monde parce qu’on croit à tort qu’on peut embourgeoiser sans aucun cout. Il reste que tous et toutes ont droit aux plus beaux milieux de vie et la gentrification a ceci de séducteur : les quartiers gentrifiés sont plus beaux et conviviaux. Mais il ne faut pas prendre cette façade pour toute la réalité.