Illustration Andrey Gosse
Par: Gabrielle Lemire, Cheffe du pupitre Actualités
Avec un végétarien, deux végétaliennes, une intolérante au lactose et un intolérant au gluten, il peut être ardu de trouver la cabane à sucre idéale pour profiter du printemps en famille. Ce scénario se rapproche pourtant de la réalité d’un cinquième des clients de la Sucrerie du domaine, une cabane à sucre gastronomique située à Lanaudière qui sert dorénavant un menu végétalien sans gluten.
Depuis trois ans, l’établissement développe un menu pour plaire à une clientèle plus diversifiée, surtout à cause des intolérances au gluten. « Le menu ne répondait plus aux besoins des clients, qui se disaient “Je ne peux plus y aller, je vais être malade” », explique le propriétaire de la Sucrerie du Domaine, Patrick Noël. La Sucrerie se dit pionnière dans le domaine du menu végétalien et sans gluten en cabane à sucre. Toutefois, d’autres cabanes à sucre en Ontario comme la Stanley’s Olde Maple Lane Farm ou le Bean Town Ranch offrent un menu végétarien sans gluten. Les menus n’excluent pas les clients les plus carnivores, puisque l’établissement continue de servir le menu traditionnel et le nouveau menu, simultanément.
Des Traditions traditionnelles
Le Muséoparc à Vanier et le Fulton’s, par exemple, servent des items végétariens comme des salades ou des fèves sans lard. Mais, selon les dires de ces établissements, ces menus restent « traditionnels », un terme qui ressort souvent en parlant du repas du temps des sucres canadien. Dans le cas du Muséoparc à Vanier, il « n’y a pas de menu spécifiquement végétarien, [la cabane à sucre] sert généralement des mets traditionnels », explique de son côté Aurélie Marié, directrice du marketing et des communications du Muséoparc.
Cet élément de tradition se glisse également dans le discours du propriétaire de la Sucrerie du domaine lorsqu’il aborde le menu végétalien : « Ça reste un copié-collé du menu traditionnel des sucres, même si le menu ne sera jamais aussi décadent que celui carnivore traditionnel », explique Noël. Que ce soit la cabane du Parc Oméga ou la Sucrerie du Domaine, la tradition est donc au cœur de ces choix gastronomiques qui modifient, selon certains, les mets canadiens.
Redéfinir les traditions
Avant d’offrir un menu végétalien, c’est une pensée traditionnelle qui caractérisait le discours de la cabane à sucre du Bean Town Ranch dans les dernières années. Selon Mélissa Charette, une ancienne employée, les membres du personnel au Ranch étaient critiques envers les clients qui demandaient des options végétaliennes. « Ils disaient “si tu es vegan, reste chez toi” », confie-t-elle. Étant elle-même végane pour des raisons d’éthique animale, elle est heureuse de constater un changement dans la mentalité de son ancien employeur. Sa soeur, Camille Charette, est végane tout d’abord pour des raisons environnementales. Celle-ci indique qu’ « en tant que société, on doit aller de l’avant en choisissant les traditions qui sont importantes. Au Canada, c’est le fun de se rendre à la cabane à sucre, en famille, et c’est encore mieux quand on peut inclure tout le monde dans cette coutume-là », croit-t-elle.
Perspectives historiques
C’est ce dont parle Gabrielle Bédard, une membre de la République populaire du délice (RPD) de l’Université d’Ottawa. Celle-ci soutient que les traditions doivent suivre l’évolution de la pensée éthique de la société. « Depuis plusieurs centaines d’années, on essaie d’agrandir l’idée de ce que sont les êtres qui méritent de la compassion », débute-t-elle. Bédard fournit l’exemple du privilège des hommes blancs cisgenres hétérosexuels qui, historiquement, « étaient les seuls qui méritaient du respect ». Bédard, qui se considère végétarienne à tendances végétaliennes, ajoute : « J’ai l’impression qu’en ce moment, on élargit la conception de quels êtres méritent de la compassion jusqu’aux animaux ». Celle-ci observe que le public a souvent des préjugés contre les personnes végétaliennes, entretenant la croyance que le mouvement est violent. « Ce changement idéologique, soit celui de ne plus manger de la viande, va à l’encontre de la tradition et certaines personnes se sentent mal à l’aise par rapport à leurs habitudes », analyse Bédard.
La souffrance des animaux est la plupart du temps la raison principale pour une conversion à une diète sans produits animaux. Pour Bédard, il est illogique de produire des plantes végétales, qu’on utiliserait pour nourrir des animaux, qui ensuite serviraient de nourriture pour l’humain : « On peut résumer ça à une équation mathématique qui concerne la douleur. Si le plaisir ou l’énergie que me procure ma nourriture est supérieur au montant de douleur ou d’énergie qu’a nécessité la production de ma nourriture, c’est parfait », résume-t-elle. Elle rappelle qu’historiquement, la viande était un luxe dans la diète du citoyen ou de la citoyenne courante, de toute façon.