Crédit visuel : Nisrine Nail – Directrice artistique
Par Aïcha Ducharme-Leblanc – Journaliste
Le caffè sospeso, dit café en attente en français, est une tradition italienne qui a vu le jour au XXe siècle. Elle est devenue, au fil du temps, un phénomène mondial de beauté et d’hospitalité qui se caractérise par le simple geste d’acheter un café pour quelqu’un d’autre.
Le documentaire Caffè sospeso, disponible sur Netflix, partage l’histoire de trois personnes localisées sur trois continents différents ; chacune va réfléchir à la manière dont cette tradition, et plus largement le café, a un impact sur leurs vies. Après l’avoir visionné, je me suis beaucoup questionnée sur ce que le café, et le fait d’en boire signifiait pour moi.
Coutume qui perdure
La coutume du caffè sospeso s’est d’abord popularisée pendant la Seconde Guerre mondiale, période de pénurie pour de nombreux.ses italien.ne.s. Elle a connu un regain d’intérêt ces dernières années, notamment à cause des difficultés économiques auxquelles la population a dû faire face.
Cette coutume consiste à s’acheter deux cafés : un pour soi, et le second pour un.e client.e moins fortuné.e. C’est un acte de pure solidarité et de générosité qui répond à ce que je considère être notre devoir : prendre soin de son prochain, de ses voisin.e.s.
Depuis sa création, la tradition a fait le tour du monde, comme l’illustre le documentaire. Des personnes venant d’Argentine et des États-Unis y expliquent le rôle qu’elles attribuent au café en attente. Des cafés ont déjà intégré cette pratique dans leurs modèles d’entreprise au Canada, notamment au Québec et dans la région de Toronto.
Café altruiste
Je ne suis peut-être pas originaire d’Italie, la capitale mondiale du café, mais j’ai grandi avec l’arôme de cette boisson amère et fumante dans ma maison. Mes deux parents sont ce que je qualifierais des snobs de café, passionnés, mais difficiles quant aux saveurs ; j’ai hérité de leur affinité pour le breuvage.
J’en bois jusqu’à trois par jour depuis près de cinq ans. Pour ceux.celles qui me connaissent, le café est un rituel sacré dans ma vie ; j’aime le boire le matin, mais je le bois aussi tout au long de la journée. Je préfère mon café noir, sans lait ni sucre. Je le bois extrêmement lentement pour en savourer chaque gorgée, et surtout, j’adore le boire en compagnie des autres.
Je considère le café comme une force rassembleuse qui favorise le resserrement des liens entre les gens. Lorsque je veux voir des ami.e.s ou un.e membre de ma famille, je propose souvent d’aller prendre un café, c’est une façon générique de déclarer « passons du temps ensemble ». Devenu synonyme d’une manière de cultiver mes relations, le concept derrière cette boisson me semble essentiel, et ce, à une époque où prévalent l’individualisme et l’absence de contact social.
Appel à la diffusion
Quand j’ai entendu parler du caffè sospeso, je me suis demandée pourquoi cette pratique n’avait pas encore été introduite dans nos cafés ottaviens. Selon CTV, Ottawa compte une population de sans-abris de 1 200 personnes, et encore plus vivants sous le seuil de la pauvreté. Peut-être est-il temps de se montrer plus solidaires ?
Je ne prétends pas qu’une simple tradition d’achat de café puisse résoudre la crise de précarité que connaît notre ville ; ce serait déraisonnable de ma part. Mais le rude hiver canadien arrive très bientôt, et nous nous attendons à ce qu’il soit beaucoup plus difficile à vivre dans le contexte de la pandémie. Avoir accès à une boisson chaude, à un café, est très réconfortant, et certain.e.s ne peuvent pas actuellement se permettre d’en acheter.
Même si le café en attente n’est pas répandu ici, ça ne nous empêche pas de payer un café à une personne sans-abri. Surmontons nos tendances individualistes, redonnons aux autres, et célébrons le café. Mettons un peu de cette générosité italienne dans nos propres pratiques !