Inscrire un terme

Retour
Arts et culture

Être pertinent ou ne pas l’être?

4 février 2019

Crédit François Blouin

 

Par Emmanuelle Gingras, cheffe du pupitre arts & culture

Le théâtre français du Centre national des Arts dégourdit les textes de Shakespeare chez son public ce mois-ci. Du 13 au 16 février, il sera possible de visionner Songe d’une nuit d’été au Théâtre Babs Asper et c’était du 30 janvier au 2 février que Hamlet Director’s Cut fut présenté au Studio selon un concept audacieux, mais peut-être pas assez.

C’est selon une double vision qu’Hamlet Director’s Cut, traduit par Jean Marc Dalpé, fut mis en scène et adapté par François Blouin et Marc Beaupré, interprétant lui-même le personnage d’Hamlet. Mais pourquoi « Director’s Cut »? Était-ce l’intention initiale du texte que nous présentait ce court spectacle ? Il est difficile d’ignorer les coupures radicales de tout dialogue et la convergence du contenu vers un monologue descriptif décrivant le cœur d’une situation choisie dans l’histoire : le meurtre du père d’Hamlet qu’a commis son oncle avant d’épouser sa mère.

Manque de dualité ?

C’est la classique histoire d’Hamlet ; son tiraillement psychologique par rapport aux trahisons familiales qui l’entourent. Dans sa paranoïa invétérée, Hamlet cherche à comprendre et absorber la lourdeur de sa situation familiale.

Il est inévitable de souligner la grande audace de présenter seul un texte où toutes les réflexions d’Hamlet sont initialement issues de dialogues où les actions extérieures mènent à sa « folie ». Seul sur scène, Marc Beaupré a su porter avec justesse les multiples craintes du personnage. C’est avec harmonie et précision que celui-ci devient danseur de ses propres paroles au courant de la pièce.

C’est toutefois avec un peu trop de contrôle que Beaupré domptait ce personnage aux pensées sinueuses. Celui-ci optait pour un jeu qui « comprenait » trop ses dilemmes et a peut-être omis de présenter une quelconque dégénération psychologique du côté du personnage.

Dans sa vengeance dormante et son manque de complexité psychologique, ce Hamlet pouvait quelques fois ennuyer son public.

Un corps scénographique

Dans une entrevue pour la revue JEU, Marc Beaupré affirmait : « Mon travail de mise en scène se distingue par la volonté d’aller chercher une intimité qu’on ne pense pas voir dans des événements historiques, dans des œuvres, et essayer de rapprocher ça des gens […] ».

La proximité était en effet regorgeante tout au long du spectacle ; la solitude même d’Hamlet, coupé de toutes interactions et pris avec lui-même, brouille toutes actions externes puisqu’il ne les évoque que par des mouvements symboliques.

Tout en récitant le texte, Hamlet devient le metteur en scène et le scénographe de tout ce qui se passe sur les planches. Des silhouettes sont captées d’un mouvement initial de l’acteur et sont ensuite projetées sur deux couches sur scène ; deux grands écrans transparents de projection à l’avant-scène et une autre à l’arrière. Le génie du concept : chaque mouvement enregistré et reproduit se complète et forme en lui-même un tableau. Reprenant la démarche et les concepts des autres personnages, ce sont des silhouettes fantomatiques calderiennes dont l’acteur est le chef d’orchestre.

Serait-ce un rappel au spectre du défunt père d’Hamlet ? Sont-ce les idées embrumées du protagoniste dément ? Est-ce le tiraillement aveuglant du protagoniste ? Sans prendre compte des questions qu’elles nous évoquent, les projections nous plongent dans une ambiance suspendue, trouée, comme ces questions philosophiques posées par Hamlet auxquelles personne, encore à ce jour, ne peut répondre.

Le début de la pièce attire plutôt l’attention, le tout semblant ingénieux et hors limites. Toutefois, le concept esthétiquement « agréable » ne fait que nourrir le public d’un tableau simple et convivial. On devient ainsi quelque peu repu du minimalisme choisi malgré les infinies possibilités qu’aurait pu faire naître le concept.

C’est selon des métaphores gestuelles clichées que ce grand chef d’œuvre littéraire nous fut présenté sur un spectacle intelligemment coupé. Il aurait été lourd d’en prendre plus que cette petite heure de représentation.

Inscrivez-vous à La Rotonde gratuitement !

S'inscrire