Inscrire un terme

Retour
Arts et culture

Territoire, frontières et migrations

6 novembre 2017

Par Gabrielle Lemire, Cheffe Arts et culture

Photo de Une : Andreas Rutkauskas , Légende V, 2011, Épreuve à la gélatine argentique virée au sélénium, 51 x 61 cm.Collection de l’artiste

 

 

Dans le cadre de sa nouvelle saison automne-hiver, l’Institut canadien de photographie du Musée des Beaux-Arts du Canada accueillait les adeptes de photographie dans son enceinte le jeudi 2 novembre dernier. Les trois expositions présentées dans les salles de l’Institut avaient comme thèmes très actuels les territoires, frontières et migrations. La Rotonde a eu la chance d’entendre le point de vue des photographes.

Or et argent: Images et Imaginaire de la ruée vers l’or

Les portes de l’exposition s’ouvraient sur la partie Or et argent: image et imaginaire de la ruée vers l’or, un portrait de la ruée vers la photographie de Daguerre, la ruée vers l’or en Californie, et celle du Klondike. La caractéristique commune à toutes les photos exposées était leur contact avec l’or. Leur réservant le traitement royal, les photographes exposés, pour la plupart non identifiés, avaient tous utilisé de l’or pour développer le produit final de leurs oeuvres.

Certaines des photos ont été rehaussées d’or et appartiennent au mouvement daguerréotypique, caractéristique de la mode française des années 1840-1850. Ce mouvement consiste à remplacer les sels d’argent utilisés pour la photographie argentique par des sels d’or, plus résistants à l’humidité, afin de faire une copie unique, sur métal, de chaque photographie. « Si l’on peut aujourd’hui se délecter de la vue de ces images, c’est bien grâce au fait qu’en leur temps, elles ont connu un passage dans un bain d’or, métal plus noble et plus stable que l’argent », soulignait lors du vernissage Luce Lebart, la directrice de l’Institut canadien de photographie.

Frontera, dépeindre une frontière à la fois trop et peu visible

Alejandro Cartagena Fille accolée au mur de la frontière américo-mexicaine, Border Field State Park, Californie, 2017 Épreuve au jet d’encre, Collection de l’artiste

 

Alejandro Cartagena est un photographe originaire de la République Dominicaine dont les oeuvres sont exposées dans plusieurs musées aux États-Unis, dont le San Francisco MOMA, le Museum of Contemporary Art à Chicago, le Museum of Art de Portland et le Museum of Fine Arts d’Houston. Une seule des photographies de sa série Without Walls (Sans Murs), représentant une fille qui s’appuie sur le mur de la frontière entre les États-Unis et le Mexique, figure dans l’exposition.

Cartagena a pris cette photo du côté mexicain de la frontière, au Parc de l’amitié, situé entre Tijuana et San Diego, où les membres des familles divisées par l’immigration et la déportation peuvent se rejoindre tous les samedi et dimanche en matinée : « Je voulais trouver des histoires alternatives pour ce qu’est la frontière et la culture de guerre dans laquelle nous étions intégrés », explique Cartagena. Il tente aussi de dénoncer certains stéréotypes par rapport aux Mexicains qui désirent traverser la frontière. La mission du photographe consiste donc à exposer les deux côtés de la médaille, c’est-à-dire non seulement les immigrants illégaux, mais surtout la vaste majorité de Mexicains qui se contentent de ce qu’ils possèdent, sans que l’idée de partir n’effleure leur esprit.

Quant à Daniel Schwarz, originaire d’Allemagne et habitant maintenant à Los Angeles, il exploite avec brio sa base en sciences informatiques afin d’enrichir son processus créatif. Ce qui marquera le plus le visiteur sera sûrement son livre dans lequel une feuille de 2000 pouces reconstitue sur la longueur, en accordéon, la vue par satellite des 3000 kilomètres (2000 miles) de la frontière séparant les États-Unis du Mexique. Dénonçant les crises sociales et politiques, sa méthode fait également référence à la banalisation de technologies comme Google Maps. Après avoir pris des captures d’écran de toute la frontière sur Google Maps dans son intégralité, celui-ci a rédigé un script Photoshop pour « coudre » toutes les images ensemble. Le livre est disposé sur une table tranchant en deux la salle du musée, comme la frontière clôturée qui sépare les deux nations.

Carte blanche au photographe canadien Andreas Rutkauskas

La troisième exposition Photo Lab 3 : Entre amis est l’une des premières initiatives de ce genre de l’Institut canadien de photographie du Musée. Pour la directrice de l’Institut, il est important de « donner des possibilités de vitrine et une bonne visibilité aux jeunes artistes canadiens et non-canadiens afin de leur donner l’opportunité de partager leur travail ». Justement, donner carte blanche à un photographe est un moyen d’encourager le talent de la relève et ainsi de laisser libre cours aux artistes d’occuper le Musée de leurs oeuvres.

C’est en feuilletant le livre Entre amis (Between Friends), publié en 1976 au Canada pour souligner le 200e anniversaire de l’indépendance des États-Unis ainsi que l’amitié caractéristique de la relation canado-américaine, que le photographe décide d’y faire écho en prenant en photo la frontière. C’est la ligne de coupure défrichée, d’une largeur d’environ six mètres entre les deux nations, qui fascine Rutkauskas. « Nous sommes habitués de penser à la frontière en tant que simple ligne, mais elle possède en fait une épaisseur, [tel un] no man’s land ».

Le jeune photographe souligne toutefois sa méthodologie contrastante à celle des auteurs du livre Entre amis. Rutkauskas mise plus sur la conceptualité, voulant montrer la perméabilité de cette frontière entre le Canada et les États-Unis. « Dans plusieurs de ces photos, on dirait que l’on peut simplement marcher à travers la frontière vers la nation opposée, alors qu’en réalité […] je devais moyenner avec la Gendarmerie royale et la patrouille frontalière […] et ils déplaçaient leur véhicule hors du cadre pour que je puisse prendre la photo ». Le jeune photographe expose donc le paradoxe d’une frontière tantôt surveillée, tantôt complètement dépourvue de toute autorité.

En 2017, soit trois ans après la prise de certaines des oeuvre de l’exposition, Rutkauskas parle déjà de son travail comme d’une forme d’archive, indiquant la réalité sociopolitique en constante évolution.

Les deux expositions principales, Or et argent et Frontera, resteront ouvertes au public jusqu’au 2 avril 2018, alors que le Photo Lab 3 fermera ses portes 16 février 2018.

Inscrivez-vous à La Rotonde gratuitement !

S'inscrire