
Tatouage et santé mentale avec Andy Goss, tatoueur à Ottawa
Crédit visuel : Ismail Bekkali – Journaliste
Entrevue réalisée par Ismail Bekkali – Journaliste
Andy Gosse est un artiste brésilien devenu tatoueur à Ottawa, au studio Mermaid Cat Tattoo. Il partage avec nous son parcours et ses expériences quant aux liens entre tatouage et santé mentale. Des symboles sur la santé mentale à la capacité des tatouages à améliorer l’estime de soi, vous découvrirez dans cette entrevue une nouvelle facette de cette pratique et de sa relation à la santé mentale.
La Rotonde (LR) : Pourquoi et comment êtes-vous devenu tatoueur ?
Andy Goss (AG) : J’ai un diplôme en beaux-arts et en éducation artistique au Brésil, où j’étais enseignant avant de venir au Canada. Je cherchais un emploi où je pourrais utiliser mon bagage artistique. J’ai fait beaucoup d’illustrations, j’ai travaillé pour des journaux au Brésil et au Canada. Je cherchais à gagner plus d’argent avec mon art. Un de mes amis du Brésil m’a dit : « Tu devrais devenir tatoueur, c’est ce que je fais au Brésil ».
Quand je montrais mes dessins aux gens, ils disaient : « Oh, si j’avais ce talent, je serais tatoueur.se. Pourquoi n’essaies-tu pas de faire des tatouages ? ». Je répondais toujours à l’époque que ce n’était pas mon truc : je dessinais pour devenir illustrateur de bandes dessinées. Après l’université, j’ai illustré quelques bandes dessinées pour des journaux et j’ai fait deux bandes dessinées pour une maison d’édition indépendante.
J’ai commencé à tatouer ici au Canada, puis je suis allé au Brésil pour des vacances. J’y ai fait mon apprentissage en un mois parce que c’est tout le temps que j’avais, mais généralement un apprentissage peut prendre un an à un an et demi. Je suis allé au studio tous les jours et j’ai appris autant que possible. En revenant ici, j’ai commencé à travailler sur la rue Rideau, et j’ai terminé mon apprentissage là-bas.
Donc oui, être tatoueur n’était pas mon premier objectif. C’était plus par nécessité. J’avais besoin de payer mes factures, c’est ce qui m’a poussé à me lancer dans le tatouage, car à l’époque, cela commençait à devenir plus populaire. Je gagnais plus d’argent que lorsque j’étais illustrateur, et j’avais plus de compliments sur mon art. Je ne sais pas pourquoi, mais les gens aiment plus les tatouages que d’autres arts. Il y a 20 ans, il n’y avait pas autant de demandes dans l’industrie du tatouage. Mais aujourd’hui, il y a moins de stéréotypes, tout le monde a un tatouage et se sent à l’aise avec ça.
LR : Quels sont selon vous les liens entre tatouage et estime de soi ?
AG : Le tatouage est une forme d’expression, qui peut redonner du pouvoir aux gens. Je vois cela tous les jours dans ma vie de tatoueur. Certaines personnes se sentent plus confiantes après s’être fait tatouer, se sentent mieux dans leur peau. Par exemple, certain.e.s font des tatouages pour couvrir des vergetures ou des cicatrices. C’est vraiment intéressant de voir que je fais un travail qui les aide à se sentir mieux. Parfois, cela vaut plus que de l’argent.
J’ai fait beaucoup de tatouages ayant une signification profonde pour les client.e.s. Je me souviens d’un cas en particulier, où j’ai tatoué une femme et le motif représentait pour elle la liberté. Je ne me souviens pas précisément du motif, mais je me souviens de sa signification. Elle venait de divorcer de son mari, et la relation ne s’était pas bien terminée. Pour célébrer la fin de cette relation toxique et abusive, elle s’est fait tatouer, et quand j’ai terminé le tatouage, elle a commencé à pleurer. Elle a vu le motif sur son corps et sa signification était si importante pour elle qu’elle a pleuré, et j’ai pleuré avec elle aussi. C’est beau de voir que parfois les gens se font tatouer pour se donner confiance et pouvoir atteindre un objectif. En général, je pense que le tatouage peut vous rendre plus confiant.
LR : Certaines personnes disent que, bien que douloureux physiquement, se faire tatouer procure un sentiment de bien-être. Pensez-vous que le tatouage peut être un acte thérapeutique ?
AG : Oui, j’ai certain.e.s client.e.s qui disent qu’ils et elles aiment la sensation de l’aiguille sur la peau, ce qui est vraiment étrange pour moi parce que je déteste les aiguilles. Certaines zones du corps peuvent être vraiment douloureuses, mais la plupart des parties du corps, c’est comme si quelqu’un vous piquait avec une aiguille, ce n’est pas trop douloureux. J’ai des client.e.s qui apprécient cette sensation, j’ai aussi des client.e.s qui peuvent facilement s’endormir pendant la séance de tatouage ! Ça peut paraître étrange.
LR : Y a-t-il des symboles liés à la santé mentale que vous tatouez régulièrement, par exemple, le symbole du point-virgule ?
AG : Oui, j’ai tatoué ce symbole du point-virgule. Je fais aussi d’autres symboles qui ont une signification liée à la santé mentale, par exemple récemment j’ai fait un cerveau dans un cœur. L’un représentait l’émotion, l’autre la raison.
Peut-être que certaines personnes trouvent une addiction dans l’acte de se faire tatouer. Chaque fois que vous en faites un, vous vous sentez mieux dans votre peau, alors vous recherchez cette sensation encore et encore. C’est un peu comme une drogue, car les drogues tendent à faire en sorte que les personnes se sentent plus confiantes.
LR : Est-ce possible qu’en utilisant ces symboles comme le point-virgule trop fréquemment, ils perdent leur signification originale ?
AG : Oui, parfois, les gens se font tatouer parce que cela devient populaire, et le tatouage perd sa signification originale. Quand les premières personnes se font tatouer un motif spécifique, elles savent ce que cela signifie, elles savent ce qu’elles obtiennent. Mais ensuite, ça devient populaire et la signification se perd dans la popularité. C’est comme quand les gens ont commencé à se faire tatouer des papillons. Les premières personnes avaient une signification spécifique en tête, comme la transformation ou le changement. Mais ensuite, d’autres ont commencé à se faire tatouer des papillons justes parce que c’était joli ou cool.