– Par Alexandre Millaire –
Collaborations abondantes, rôles interchangeables et projets en flux, deux groupes indies prouvent que ça vaut la peine de se battre pour la liberté artistique.
Le supergroupe Mounties, de l’auteur-compositeur-interprète Hawksley Workman, Steve Bays de Hot Hot Heat, Ryan Dahle de Limblifter et Parker Bossley de Fake Shark – Real Zombie! met de l’avant une philosophie enracinée dans le défoulement et la liberté d’expression. Comme les membres habitent différents coins du pays, leur processus de création était nécessairement expéditif, passant deux semaines à enregistrer une trentaine de chansons dans l’ancien Streamliner, mais le résultat en est surprenant pour sa chaleur, sa cohérence et son invention musicale.
Mounties propose une esthétique qui se veut à la fois moderne et traditionnelle. Tout comme le fossé générationnel comblé par les musiciens du groupe, leur oeuvre tient le passé, le futur et les visions du futur d’antan par la main. Leurs vidéos, touchants pour leur regard non-critique envers la technologie et les passe-temps de nos jours, combinent techniques modernes de vidéo (Tokyo Summer), des anciennes images vhs (Headphones On) et des films maisons (If This Dance Catches On). Ce dernier, créé par Steve Bays avec les films du grand-père de Workman, éprouve une sensibilité et une débrouillardise remarquable au sein du groupe. « La présentation est plus de la perspective des années 80, lorsque l’extravagance et la richesse étaient quelque chose auquel les gens croyaient peut-être un jour toucher. Enfant, tu pensais mener une Lamborghini Countach ou être le sujet de The Lifestyles of the Rich and Famous et maintenant, 30 ans plus tard, on est tellement battus. Il n’y a personne que je connais qui va mener une Countach… ni ne le voudrait. Maintenant, on pense à l’inégalité mondiale et on devient réaliste. Mais dans les années 80, c’était tellement un beau moment […] C’est toujours la perspective avec laquelle nous approchons la musique », précise Steve Bays, pianiste et chanteur du groupe.
Leur premier disque, Thrash Rock Legacy, paru sur Light Organ Records en 2012, met de l’avant une batterie nettement à l’affût des techniques modernes d’enregistrement et des synthés délicieusement désaccordés des années 80 à 90, renchérissant la guitare et la basse et servant de canevas aux voix des quatre chanteurs. Leurs prestations en direct démontrent une énergie et un jeu qui témoignent des années d’expérience sur scène, notamment avec les groupes Limblifter, The Age of Electric, Hot Hot Heat, Fake Shark – Real Zombie!, The New Pornographers et The Matthew Good Band.
Gay Nineties, avec qui Mounties est couramment en tournée, nous offre un portrait d’un jeune groupe vancouverois ambitieux et reconnaissant de la bienveillance des vétérans de la scène musicale avec lesquels ils travaillent. Steve Bays a ici joué le rôle d’enregistreur tandis que Scott Ternan, réalisateur des artistes 54-40 et Sam Roberts, a passé six mois dans les studios de First Love Records avec le quatuor pour produire leur premier EP, Coming Together. Cette occasion rarissime où un nouveau groupe, formé en 2011, fait des tournées à l’échelle nationale et internationale avec des artistes renommés comme The Darcys et July Talk qu’avec cinq chansons d’enregistrées prouve la profondeur d’amitié et de collaboration entre artistes et entités musicales.
Le nom Gay Nineties, comme l’explique Parker Bossley, guitariste et chanteur du groupe et bassiste dans Mounties, a été choisi pour l’époque qu’il représente, de 1890 à 1900, où les pièces d’Oscar Wilde, le mouvement des suffragettes et la décadence artistique étaient de rigueur. « On voulait un nom qui nous séparerait des gens, qui serait mémorable et qui nous laisserait faire tout ce qu’on imaginait. […] On est un groupe de féministes, on adore porter des vêtements pour femme alors Gay Nineties nous permet avant tout d’être nous-mêmes », explique Bossley. Il continue en disant que le nom sert aussi de test Litmus pour écarter ceux étroits d’esprit.
Ces deux formations ont emmené leur indie déjanté et psychédélique au Mavericks jeudi dernier, lieu qu’ils estiment pour sa clarté de son et son intimité en dépit des étrangetés dans l’arrière-scène (poids et altères, trous dans les mûrs, etc.). Le dynamisme des artistes et la fraternité quasiment palpable dans l’air a su plaire à la salle comble et faire bouger les gens.
Le parcours de ces artistes est inspirant non pas pour leur statut élevé sur la scène musicale canadienne, mais pour le niveau de collaborations et de soutien mutuel qu’il éprouve. Quoique ce soit un boulot exigeant de devenir musicien indépendant, cette communauté musicale nous prouve que la croyance en soi, le ressourcement collectif et le fait de creuser dans l’art ensemble en vaut toujours l’effort. Les rôles et les instruments peuvent changer, mais la poursuite est toujours pareille : la recherche de la liberté d’expression.