– Par David Beaudin Hyppia –
« Si je pouvais, mais là je le ferais pas pour pas donner un mauvais exemple à mes petits-fils là, mais si je pouvais, j’te cracherais dans la face », a-t-il dit d’un ton étonnamment calme. C’était au Salon du livre, à la Maison du citoyen de Gatineau. Le vieillard, qui ressemblait au père Noël avec une grande barbe blanche, une bonne bédaine de bière et en arrière de lui deux ou trois enfants mais surtout un assis sur ses épaules qui lui jouait dans la barbe, tenait absolument à expliquer à GabrielNadeau-Dubois qu’il méprisait tout ce qu’il avait fait. « C’est pas contre toi que je dis ça, mais là t’es là devant moi. Je méprise tout ce que t’as fait toi pis ta gang », a-t-il presque chuchoté sournoisement pour que personne ne l’entende sauf ceux qui étaient très proches. Imaginez la symbolique d’une telle manifestation de haine venant du sosie de Santa Claus en vacance dans l’Outaouais. Oui c’est arrivé pour vrai, et personne n’en revenait. Ce vieil homme pensant surement que Gabriel Nadeau-Dubois avait été le seul à briser toutes les fenêtres cassées durant le printemps érable, le seul et je dis bien le seul à guider les manifestations diurnes comme nocturnes dans Montréal, même lorsqu’il y en avait plus qu’une en même temps!
Mais qu’est-ce que cela veut dire? Symboliquement c’est très fort, absurde certes, mais quand même détenteur d’une réalité. Cette image projetée par ce monsieur est certainement aussi réelle que l’image envoyée par Gabriel Nadeau-Dubois lors de ses multiples apparitions devant les caméras. Pour nous, l’absurdité de l’image se manifeste de manière discrépante. Une personne sympathique qui nous annonce qu’elle nous déteste profondément, sur un ton neutre voire même aimable. Bref, les référents logiques que l’on considère comme allant de soi dans ce genre d’analyse audio-visuelle d’un phénomène ne cessent de se contredire. Ce procédé de déconnection et de déconstruction face à un ensemble que nous fait subir ce monsieur (malgré lui) nous rend mal à l’aise à un point qu’il synthétise chez nous rejet total de toute forme de crédibilité. Ce phénomène discrépant souvent utilisé chez les lettristes et plus tard chez les situationnistes, qui habituellement s’explique comme procédé artistique, s’est manifesté devant nous sous sa forme politique. Ce que j’entends par là, c’est bien que le propos du vieux monsieur, qui aurait pu sortir de la bouche de n’importe qui, déclenche une réaction négative de notre part malgré la perception positive de sa présence physique. Cette dissonance de la part de nos sens nous fait réagir à un point tel que l’on fusionne la teneur politique avec le ton négatif ce qui nous fait réagir systématiquement de la même manière. L’absurde, même tranquille, reste plus menaçant que le dangereux concret. C’est vrai, on l’a tous traité d’idiot après qu’il soit parti.