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Arts et culture

Sépulture

13 janvier 2014

– Par Brigitte Delisle – 

Les premiers rayons du soleil percent mes rideaux. J’ouvre les yeux et me lève nonchalamment. J’aurais préféré dormir cent ans et me réveiller quand tout ça aurait été fini. Mais je ne vis pas dans un conte de fées. Aujourd’hui, je dois choisir entre le mensonge et le courage. J’ai peur et j’ai peur d’affronter ma peur. Je me cherche désespérément une excuse pour ne pas faire comme le reste de ma famille et me vêtir en noir. Je me lève de mon lit et descends à la cuisine, l’air piteux. Ma mère est assise à la table, les mains serrées autour de sa tasse de café, et les yeux gonflés d’avoir tant pleuré. Je m’assieds en face d’elle et me mets à simuler une vilaine toux accompagnée d’éternuements amateurs. Elle lève les yeux et me demande si je vais bien. Je mets ma main sur mon front et me lève lentement de table : « Je me sentirais mieux si je retournais me coucher. » Elle baisse la tête comme pour exprimer sa déception. En malade imaginaire que je suis, je retourne me coucher.
Je sais qu’elle sait que la mort fait naître la peur quand je la vois dans un cercueil en avant d’une église ou dans un trou parfaitement bien creusé par l’homme à la faux. Des fois, j’aimerais être comme mon frère et rester insensible face à cette réalité. L’heure est venue. Ma famille quitte le foyer, me laissant seule à mes pensées. J’essaie de ne pas m’en vouloir, car il est trop tard pour changer d’idée. Et puis, quoi? Qu’ai-je à me reprocher? Je cherche simplement à ne pas faire face à la mort. J’ouvre la fenêtre de ma chambre et prends une grande respiration. Quelle bonne bouffée d’air frais! Je me sens revivre.
Lentement, je me retourne et j’aperçois sur ma table de chevet une photographie de grand-papa et moi. Il me sourit derrière sa moustache blanche. Je tremble, puis je mords ma lèvre inférieure au point de la faire saigner. Je serre les poings, mais la force ne vient pas. Pourquoi es-tu parti, grand-papa? C’est de ta faute si j’ai peur… La photo à la main, je me précipite jusqu’au premier étage, puis je sors dehors. Je prends une pelle dans le garage et cours vers le jardin. Je commence à creuser, comme on creuse un tombeau. Je regarde grand-papa une dernière fois, amèrement, les larmes obstruant légèrement ma vue. Une d’elle tombe sur la photo, estompant nos sourires. Je laisse tomber la photo dans le trou et l’enterre comme on enterre ses souvenirs. Repose en paix, grand-papa, et ne reviens plus me hanter!

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