Semaine pour une éducation publique : Le néolibéralisme dans les salles de classe
– Par Marc-André Bonneau –
Les syndicats sur le campus de l’Université d’Ottawa (U d’O) se sont réunis pour organiser cinq ateliers sur l’éducation publique, sous forme de présentations et de tables rondes. Les rencontres ont eu lieu du 24 au 28 février.
Le regroupement syndical milite à la fois pour une meilleure qualité de l’éducation et pour une plus grande accessibilité à celle-ci. La corporatisation de l’enseignement a figuré parmi les grands thèmes de la semaine, menant à des discussions entre les unions syndicales présentent sur le campus.
Une semaine chargée d’ateliers
Un premier rendez-vous, intitulé « Rapport étudiant-enseignant : au-delà des sièges à vendre en classe », portait sur les problèmes liés à la hausse drastique du nombre d’étudiants et à la stagnation du nombre d’enseignants. Cette discussion de lundi soir a donné le ton aux activités. Le professeur André Vellino, de l’École des sciences de l’information de l’U d’O, a fait suite à cet événement en donnant une présentation sur les indicateurs utilisés pour mesurer la performance académique des enseignants. Leurs limites ont d’ailleurs été soulevées. Bien que toutes les rencontres fussent ouvertes au grand public, ce sont principalement que des enseignants qui ont assisté à celles-ci.
La conférence publique qui était prévue le mercredi soir et qui devait être donnée par Gordon Lafer, professeur à l’Université de Chicago, a été annulée. Toutefois, cette activité pourrait être reportée aux prochaines semaines. Cet atelier était censé discuter des transformations que l’éducation postsecondaire a subies ces dernières années.
Une table ronde a ensuite eu lieu le jeudi soir au Café Nostalgica où « la nécessité de lutter contre les attaques néolibérales », tel qu’indiqué, a été discutée. Anaïs Elboujaini, représentante étudiante des cycles supérieurs au Bureau des gouverneurs de l’U d’O, Vanessa Hunt, vice-présidente de la Fédération canadienne des étudiants, et Erika Shaker, directrice du projet d’éducation du Centre canadien des politiques alternatives, ont animé une présentation sur le sujet. Une discussion a réuni la poignée d’individus présents après la présentation. Le lendemain, la projection du film Carré rouge sur fond noir a conclu la semaine. Le film a fait un retour sur la grève étudiante du printemps érable de 2012.
Corporatisation de l’enseignement
Susan Spronk, professeure à l’École de développement international et mondialisation de l’U d’O et organisatrice des événements, a expliqué que les syndicats « ont un agenda commun sur un bon nombre de problématiques. L’une des choses mises de l’avant est notre inquiétude quant au ratio d’étudiants et de professeurs sur le campus. »
Mme Spronk a défini la hausse du ratio étudiant-professeur comme une menace à l’éducation de qualité. « Dans les grands auditoriums, on ne peut plus traiter les étudiants comme des individus, mais on les traite plutôt comme des numéros. Ceci porte atteinte à l’aspect humain et personnel de l’éducation », soutient-elle.
Puisque le nombre d’étudiants augmente et que celui des enseignants stagne, « la différence s’agrandit au niveau du nombre de services qui peuvent être desservis aux étudiants », argumente l’enseignante.
« Lorsqu’il y a 250 élèves dans ses classes, c’est difficile d’interagir avec eux. Lorsqu’on interagit sur une base plus personnelle, on apprend sur nos étudiants, comme lorsque quelqu’un vient nous voir avec un problème, et qu’il est vraiment excité. Pour nous, enseigner n’est plus la même expérience, puisqu’on aime apprendre dans un contexte humain », soutient Mme Spronk.
Le regroupement a critiqué l’embauche de plus de professeurs à temps partiel, ce qui permet à l’U d’O d’augmenter ses profits. « Nous sommes persuadés qu’en termes de compétences, les professeurs à temps partiel égalisent ceux à temps plein. La difficulté est qu’ils n’ont pas de sécurité d’emploi. Si les cours enseignés ne sont pas répétés, et que les contrats, comme c’est parfois le cas, sont notifiés à la dernière minute, comment peuvent-ils bien préparer un cours? De plus en plus, l’Université repose sur ce modèle, puisque c’est moins cher. Ceci à un impact sur la qualité de l’éducation dans nos classes » souligne la professeure.
« L’Université est vraiment intéressée à augmenter le nombre d’étudiants et non pas le nombre de professeurs, parce que [les étudiants] sont ceux qui rapportent de l’argent », selon Mme Spronk. De plus, le nombre d’enseignants à temps partiel n’a cessé d’augmenter, a-t-elle rappelé.
La « vraie » situation financière
Dans un document préparé par l’Association des professeurs de l’U d’O (APUO) qui présente la « vraie situation financière de l’U d’O », il est indiqué que l’U d’O a engrangé des surplus de 600 millions de dollars entre 2000 et 2013. Le syndicat argumente que malgré ces bénéfices, l’institution a préféré enrôler moins d’enseignants à temps plein que ce qui soit nécessaire, et que son budget alloué aux enseignants et aux autres employés n’a cessé de diminuer.
Malgré que la dette moyenne des étudiants ait augmenté, les frais de scolarité à l’U d’O ont tout de même grimpé de 23 % dans les cinq dernières années. Le document de l’APUO conclut que l’institution ne traverse aucune « crise financière ».
Selon Mme Spronk, soutenir qu’il est difficile d’obtenir des fonds du gouvernement est une stratégie souvent utilisée pour justifier des services de qualité moindre, alors que la situation financière de l’Université se porte très bien. Ce sont plutôt ses profits qui pourraient l’empêcher de bénéficier d’un maximum de support venant de l’extérieur.
« L’Université a 350 millions en argent dans ses coffres. Pour nous, c’est de l’éducation potentielle qui n’est pas donnée, puisque le but de l’U d’O n’est pas de faire de l’argent », s’est exclamée Mme Spronk.