
Semaine d’apartheid israélien : « Les Palestiniens d’Israël font face à la discrimination »
– Par Alex Jürgen Thumm –
Le représentant de la Délégation palestinienne au Canada, son excellence Saïd Hamad, s’est entretenu avec La Rotonde dans le cadre de la Semaine d’apartheid israélien. Le représentant encourage les étudiants à débattre de manière inclusive et à s’intéresser à la situation des droits humains.
La Rotonde : Comment réagissez-vous face à la Semaine d’apartheid israélien (IAW)? Comment les Palestiniens se sentent-ils par rapport à l’activisme pro-palestinien et qu’aimeriez-vous voir des activistes ?
Saïd Hamad : Le peuple palestinien est profondément reconnaissant du soutien des étudiants canadiens d’un océan à l’autre. Leur activisme nous rassure que notre situation n’est pas oubliée. Être défenseur des droits humains des Palestiniens est parfois une voie difficile à emprunter. Nous accueillons toutes les personnes qui veulent travailler main dans la main et marcher avec nous vers la liberté.
Les étudiants canadiens et ceux palestiniens partagent tous deux une solide histoire d’activisme et d’organisation communautaire. L’Union générale des étudiants palestiniens (UGÉP) a joué un rôle considérable dans la diaspora palestinienne des années 1960 sous le régime de Yasser Arafat et d’autres. Moi-même, j’ai entamé ma carrière d’activiste au collège aux États-Unis en 1970 avant de commencer ma carrière diplomatique.
Les étudiants canadiens n’ont pas été moins activistes pour autant : exiger la fin de la guerre du Viêt Nam, faire pression sur l’apartheid sud-africaine, et financer IAW, les sociétés pour les droits humains en Palestine sont actives dans chaque institution de recherche majeure à travers le Canada et nous avons pour cela la tradition de l’activisme étudiant à remercier.
En ce qui concerne la notion d’apartheid en soi, l’archevêque Desmond Tutu l’a appliquée aux rapports entre Israël et la Palestine. Le regretté Nelson Mandela a dit cette fameuse phrase : « Notre liberté est incomplète sans la liberté des Palestiniens ». Le Conseil sud-africain des églises a endossé IAW et a appelé la situation entre Israël et la Palestine la « pire » apartheid. Donc les experts se sont déjà clairement prononcés sur la question. Toutefois, il n’y a pas deux situations qui soient complètement identiques. Dans certaines régions israéliennes/palestiniennes, la discrimination est plus évidente qu’ailleurs.
En Israël, la persécution est plus subtile. Même s’ils constituent près de 20 % de la population, les citoyens palestiniens d’Israël font face à la discrimination dans l’éducation, le commerce et la politique. Ils font face à des discours de haine de la part du gouvernement israélien et des attaques terroristes de groupes ultranationalistes. Il y a des limites dans les endroits où ils peuvent travailler et vivre ; 11 000 Palestiniens ont été jetés hors de Jérusalem depuis 1993. Il y a des limites à leur participation complète dans la société. L’état ne protège ni leurs intérêts ni leur identité. Bien que plusieurs Palestiniens habitent la Knesset, ils n’y ont qu’un rôle marginal ; tous les niveaux de pouvoir sont contrôlés par la majorité religieuse. Bref, le gouvernement israélien ne représente pas les intérêts de tous ses citoyens, malgré les avantages que le pluralisme vante souvent.
Dans l’état occupé de la Palestine, la discrimination et la ségrégation sont beaucoup plus évidentes. Les colonies israéliennes sur la côte ouest sont divisées selon l’ethnie. Les Palestiniens vivent dans une série de bantoustans, exclus les uns des autres et assiégés par des forces d’occupation israéliennes. Nous faisons face à des fouilles, des arrestations et des détentions arbitraires à différents points de contrôle. On nous empêche d’emprunter les routes séparées qui entourent nos communautés. Nous faisons face à des restrictions régionales imposées par les forces militaires israéliennes qui empêchent nos villes et villages de croitre. Nous faisons même face à un service d’autobus séparé, comme les lois Jim Crow. Les Israéliens appliquent une politique de séparation perpétuelle, démolissant nos maisons et nos institutions dans un cycle de dépossession sans fin. Entre temps, des millions de réfugiés palestiniens des guerres de 1948 à 1967 ne sont pas autorisés à retourner aux terres de leurs ancêtres parce qu’ils ne rencontrent pas les qualifications ethniques et religieuses. Nous avons le droit de résister à ces injustices!
LR : IAW fait la promotion du mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) contre Israël. Quelle est votre opinion de ce mouvement?
SH : En ce moment, Israël possède des centaines de millions de dollars de taxes qu’il prend des Palestiniens, ce qui veut dire que des milliers de personnes travaillant dans des institutions palestiniennes reçoivent 60 % ou moins de leur salaire normal. Les forces militaires israéliennes continuent leur siège de Gaza, empêchant l’arrivée de ressources de base. Sa marine tire sur des pêcheurs et son armée sur des fermiers qui travaillent trop près des frontières. Israël a imposé un blocus économique définitif sur Gaza et pris d’innombrables mesures pour empêcher la croissance de l’économie de la côte ouest : rasant des champs d’olives, chassant des fermiers, volant des terres. Pourquoi n’y a-t-il personne qui se plaint à propos des sanctions économiques israéliennes contre la Palestine, un peuple déjà occupé et dépossédé?
LR : Que ce passe-t-il en ce moment en Palestine? Quelles inquiétudes la délégation possède-t-elle?
SH : L’élection israélienne fut très dramatique. Nous verrons quelle coalition émergera et s’ils veulent avoir de bonnes négociations de bonne foi. Mais nous avons vu une compagne très troublante basée sur la peur et la provocation contre les Palestiniens par les partis qui ont gagné. Le ministre israélien des affaires étrangères, Avigdor Lieberman, a exigé la décapitation d’Israéliens-Arabes. Le premier ministre, Benjamin Netanyahu, avait promis qu’il n’y aura pas d’état palestinien s’il était réélu. Évidemment, nous sommes profondément troublés du retour d’un parti gouvernemental de l’extrême droite mené par Likud.
Jusqu’à ce qu’Israël s’entende avec les Palestiniens en tant qu’êtres humains, nous espérons que la communauté internationale va nous soutenir alors que nous poursuivons la justice par l’entremise du jugement de la Cour pénale internationale, une cour que le Canada a fièrement aidé à établir. Les Palestiniens continueront à poursuivre toute mesure légale et diplomatique afin d’obtenir leur liberté et nous espérons que le monde continuera de nous soutenir dans notre objectif.
LR : Cette semaine, Gideon Levy, un journaliste du Ha’aretz qui est très critique à l’égard d’Israël et qui a été nommé « l’homme le plus détesté d’Israël », revient faire une conférence à Ottawa. Connaissez-vous bien M. Levy, et si oui, que pensez-vous de ses analyses?
SH : Gideon Levy incarne le réveil qui a lieu dans certains segments du public israélien. Il ne fait rien de plus révolutionnaire qu’appliquer une perspective morale libérale traditionnelle, ancrée dans la mise en évidence de la situation des Palestiniens. Des Israéliens de la même opinion seront ultimement les acteurs les plus importants lorsque viendra le temps de mettre fin au conflit entre Israël et la Palestine.
Toutefois, Levy favorise une solution d’un état alors que nous négocions pour une solution de deux états. Lorsque les Israéliens et les Palestiniens deviendront plus à l’aise ensemble, ils élaboreront peut-être leur entente de sorte que leur relation soit plus égale. Entre temps, nous devons travailler vers ce qui est faisable, de manière réaliste, pour la situation actuelle. Je continue d’avoir espoir que les Israéliens et les Palestiniens peuvent partager ces terres et qu’ils se demanderont ensuite « mais à quoi pensions-nous? ».
LR : Pour ceux qui ne comprennent pas pourquoi une région non-indépendante possède une délégation, que fait la délégation palestinienne à Ottawa? Avez-vous des relations directes avec l’Ambassade israélienne?
SH : La délégation générale de Palestine est l’office diplomatique représentatif des Palestiniens et du gouvernement au Canada. Nous entretenons des relations avec les politiciens canadiens, les sociétés civiles, et la communauté commerciale afin d’établir des liens d’entente et de commerce entre nos peuples et pour renforcir nos relations diplomatiques.
Nous n’avons pas de lien direct avec l’Ambassade israélienne, non. Mais parfois je croise chemin avec l’ambassadeur israélien qui, d’après ce que je peux voir, semble être un homme très raisonnable. Il y a beaucoup de bons Israéliens et Palestiniens des deux côtés et c’est ce qu’on doit se rappeler lorsqu’on regarde les nouvelles et que la situation semble morne. La clé est d’instaurer les bonnes conditions afin de permettre que le meilleur de chacun puisse ressortir. J’essaie toujours de traiter le côté pro-israélien comme un adversaire plutôt qu’un ennemi. Nous devons apprendre à vivre ensemble et j’encourage les étudiants intéressés à propos des droits humains des Palestiniens de continuer de débattre de manière inclusive et respectueuse.
Pour de plus amples informations à propos de la délégation et de notre travail, je vous encourage de nous suivre sur notre page Facebook.