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Arts et culture

L’humain et autres condamnations

19 novembre 2018

Par: Emmanuelle Gingras, journaliste

Quand la barbarie de l’humain ne sait plus où se justifier, elle se reflète dans la politique « émotive ». C’est du 14 au 17 novembre au Centre national des Arts que l’humour acéré et violent de l’auteur Martin Crimp dans Le reste, vous le connaissez par le cinéma a su agréablement rejoindre celui de Christian Lapointe, metteur en scène.

Déjà, la question est posée de manière pertinente dans la pièce : « Si la réponse est “l’être humain”, alors quelle est la question ? » L’auteur britannique Crimp reprend avec vulgarité la pièce antique Les Phéniciennes d’Euripide de manière crue, humoristique et contemporaine.

Christian Lapointe s’occupe de la mise en scène du texte en question et de la traduction qu’il joualise. Une proximité intéressante est ainsi créée entre le public et cette histoire classique qui nous serait typiquement présentée selon de longues tirades poétiques et le grandiose « prétentieux ». Ce rapprochement culturel du langage facilite le lien que Lapointe tente de faire avec la tyrannie politique d’antan qui semble encore nous suivre aujourd’hui.

« L’humain ne peut pas être inhumain », exprime le metteur en scène lors d’une discussion pré-spectacle. Ce que l’on désigne de barbare et cruel chez un humain, ne fait que prouver sa capacité de le faire. Ainsi, l’inhumanité est présente chez tous et fondée. Dans la pièce, elle est à fleur de l’incapacité d’opter pour un système politique démocratique sans passer par la tyrannie pour l’atteindre.

Clinton ? Trump ? Œdipe ?

Il n’est point surprenant que Lapointe dirige les interprètes d’Étéocle et de Polynice, fils d’Œdipe, à jouer comme des enfants avides et immatures. Se battant pour le pouvoir du royaume de Thèbes, les deux arrivent à une entente : alterner le pouvoir entre eux chaque année. Toutefois, après un an, Étéocle refuse l’accès au trône à Polynice. Confrontation politique qui nous rappelle étonnament les débats entre Clinton et Trump. Après le sang versé par leurs armées, ceux-ci se confrontent jusqu’à tous deux en mourir.

Les lieux, un miroir représentatif

Il va sans dire que la scénographie, dans son ensemble, symbolise un reflet alléchant de chaos créé par l’humain. Des projections de scènes de guerre incarnées par des silhouettes blanches s’ajoutent à de la musique glauque qui jongle entre le sacral et la techno. Plus tard, des images de chair semblent vouloir symboliser la décapitation.

Alors que l’aspect visuel nous crispe, le jeu des acteurs est satirique et humoristique. Le contraste radical fait grincer les dents ; une culpabilité envahit chacun des rires du public.

On vous entend !

Enterrés par un environnement sonore et visuel extravagant, les acteurs ont dû se fendre la gorge et le corps afin d’être entendus et vus. Évidemment, la vision de Lapointe n’aurait pas pu permettre un jeu naturel, puisque l’extravagance était au cœur de la critique. Toutefois, les écarts entre les effets sonores contraignaient le public à en « manquer des bouts ». Aussi, à plusieurs reprises subit-on des inconforts en ce qui concerne le son ; les discours occasionnels dans un micro ne cessent de nous sursauter et finissent par nous garder à l’affût, frustrés.

Un chœur polyvalent

Enfin, le classique chœur des pièces de Grèce antique nous est interprété par six femmes, qui tout au long de la pièce prennent différentes figures archétypales. Elles sont les terroristes. Elles sont des animatrices de cuisine réconfortantes. Elles sont les médias ; encombrantes. Elles sont le public du conflit politique dans l’histoire ; faciles, ahuries. D’ailleurs, dans leur figure et leur comportement d’écolières, Lapointe fait écho à sa formation d’enseignant à l’école supérieure de théâtre à l’UQAM.

Toutefois ne sommes-nous pas encore en pressant besoin d’être éduqués ? Ne sommes-nous pas encore les enfants aux sourires naïfs qui gambadent comme des innocents ? Et si au milieu de nos ruines, n’étions-nous pas condamnés à une incompréhension immuable de notre brutalité ?

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