Chronique
Par: Gabrielle Lemire, cheffe Arts et culture
Des paillettes, des faux cils, des milliers de couleurs de fards à paupières. Des brillants, partout. Et des hommes en talons vertigineux qui se pressent pour enfiler leur robe avant la montée du rideau.Nous venons de pénétrer dans l’antre des drag queens.
Malgré leur présence dans la culture populaire d’aujourd’hui – que ce soit dans les séries télévisées, comme vlogeurs sur YouTube – ces créatures fardées à l’excès menaient autrefois une double vie. Agents secrets de la performance, elles sortaient la nuit pour incarner un personnage féminin et excentrique.
C’est encore le cas : plusieurs jeunes font du drag clandestinement comme échappatoire identitaire. Malgré cette marginalisation toujours présente en raison d’une logique conservatrice, les drag queens sortent de l’ombre et deviennent porte-voix de la communauté queer sur la scène politique.
Standards en ascension
L’art du drag trouve ses racines à la Renaissance, les femmes n’ayant alors pas le droit de performer comme comédiennes au théâtre. Les rôles féminins étaient alors comblés par des hommes habillés en femmes. Avec le temps s’est ajoutée la création de costumes et de chorégraphies de danse élaborées. Dans les années 80, les bals de drag américains ont élevé les standards de la pratique artistique. Sur les planches, ce sont des grands écarts, des mouvements au sol, et des styles de danse typiques, comme le vogue, qui parsèment les chorégraphies. Rendu populaire par RuPaul dans les années 90, le milieu du drag, très compétitif, voit la qualité de ses habits et de ses performances atteindre son summum.
Activisme en talons
Malgré l’ascension de la pratique qui fait son entrée dans la culture populaire depuis le début des années 2000, la nature de la pratique du drag suscite des questionnements de la part de la communauté extérieure. Les drag queens sont-t-elles des hommes ou des personnes transgenres ? Est-ce réservé à la communauté LGBTQ+ ?
La première question part justement d’un des fondements du drag, soit de cesser d’accorder autant d’importance à l’identité de genre binaire. Une personne peut se vêtir en homme, en femme, ou même adopter une image androgyne si elle le désire. Le genre de la personne importe peu, mais une réticence à accepter une variété d’identités de genre et d’orientations sexuelles se fait toujours sentir.
La deuxième question fait référence au temps où le drag était une pratique plus marginalisée confinée aux tréfonds des endroits clandestins par la culture machiste dominante. Malgré une vision progressiste des choses, un courant conservateur de droite freine toujours cette acceptation des queens dans la sphère publique ouverte par RuPaul.
Lutte contre la droite
L’entrée du drag dans le courant dominant permet aux queens en tant que personnages publics d’accéder à une tribune politique pour la communauté LGBTQ+. Récemment, c’est l’activisme naturel de Pabllo Vittar qui devient indispensable pour militer contre cette extrême droite pour qui les droits des minorités sont à éradiquer. Artiste bien ancrée dans la culture populaire au Brésil, la drag queen de 23 ans est à la tête d’un mouvement de résistance au nouveau président brésilien élu le 28 octobre dernier. C’est en popularisant le mot-clic #EleNao (#PasLui) depuis le début de la campagne électorale de Jair Bolsonaro que Vittar s’est vue associée au mouvement.
Même si plusieurs drag queens comme Vittar agissent comme influenceurs dans la sphère publique pour faire avancer le dossier de la communauté LGBTQ+, il arrive encore à ce jour des tueries, des attentats et d’autres formes de violence xénophobe, comme à Orlando en 2017. Les drag queens, bien plus que des hommes en talons, sont alors piliers de la communauté LGBTQ+ et dans la lutte pour la justice sociale.