
Sa vision pour l’U d’O, le dossier de la santé mentale et les finances de l’Université
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Par : Stéphanie Bacher-journaliste
Entrevue avec Jacques Frémont
Arrivé à l’Université d’Ottawa (U d’O) en juillet 2016, Jacques Frémont ne semble pour le moment ne pas réellement se distancier des objectifs et méthodes de gestion de son prédécesseur, Allan Rock. Le nouveau recteur de l’Université a cependant annoncé la mise en œuvre de plusieurs dossiers d’envergure touchant l’ensemble de la communauté universitaire. Il est également confronté à plusieurs négociations sur le renouvellement des conventions collectives des employé.e.s de l’Université et à une menace de grève de la part des professeur.e.s à temps partiel. La Rotonde revient avec lui sur ces enjeux ainsi que sur sa vision pour l’U d’O.
La Rotonde: Pour nos lecteurs qui vous connaissent peu en dehors de votre fonction officielle de recteur à l’Université d’Ottawa (U d’O), pourriez-vous vous présenter, parler de votre parcours, et de ce qui vous a motivé à devenir recteur ?
Jacques Frémont: C’est la vie qui m’a motivé. On devient un peu recteur par accident. Mais ce qui est sûr est quand je suis sorti de la Faculté de droit il y a bien bien longtemps, l’autre siècle, l’autre millénaire, j’avais le choix d’aller en pratique privée. Et puis finalement j’ai choisi les études supérieures et après, le choix est revenu entre la pratique privée et l’université et finalement j’ai choisi l’université. Et là j’ai eu bien du plaisir. Une carrière plus régulière. Et à un moment donné, quelqu’un m’a demandé d’être vice-doyen (de l’Université de Montréal), puis être doyen et directeur au Centre interdisciplinaire de recherche. Puis donc, à chaque fois il faut croire que je ne faisais pas trop une mauvaise job parce que les gens en redemandaient. J’ai progressé après. Je suis devenu vice-recteur, puis provost, et puis après j’ai quitté le monde universitaire pour 5 ans et, là, ce sont les chasseurs de têtes qui sont revenus me chercher. Mais entre temps j’avais été à New York, j’avais travaillé pour un organisme philanthropique international, puis j’avais été 2 ans et demi à la tête de la Commission des droits de la personne du Québec. Je n’aurais jamais songé à revenir à la vie universitaire et quand ils m’ont dit « Ottawa », c’était intéressant, ça me tentait et c’est un immense plaisir.
LR : Avez-vous une vision pour l’U d’O ?
JF : La première année a véritablement été une année de faire le tour du propriétaire et de comprendre parce que les universités se ressemblent beaucoup, mais les universités ont des personnalités qui sont très différentes. Alors c’était de bien comprendre la personnalité de l’U d’O, ses forces, les défis, etc. et je pense que je suis loin de la connaître, je pense bien la connaître dans quelques années. La vision, on va essayer de la développer ensemble parce qu’on arrive à la fin de Destination 2020 qui est la planification stratégique. Donc on va la développer tous ensemble, mais parmi les éléments, c’est clair que les éléments distinctifs de 2020 pour ce qui est de la francophonie interne et de l’international c’est différent et c’est beaucoup ça qui m’avait attiré à l’époque. À l’international, on va bouger. C’est clair que sur la francophonie, on va bouger. On commence à bouger.
LR : Un dossier que vous aviez identifié au Sénat et au Bureau des gouverneurs comme étant important est celui de la santé mentale. Quelles sont vos principales préoccupations à ce sujet ? Quel est votre diagnostic et qu’est-ce que l’université va entreprendre comme action ?
JF: C’est clair que sur le dossier de la santé mentale, l’Université d’Ottawa n’est pas sur une planète à part. Dans les autres universités, c’est aussi un problème. C’est un défi. Un des défis, c’est aussi qu’est-ce qu’on peut faire par rapport à notre communauté, notamment en cas de détresse, pour que les étudiants puissent avoir des endroits où se retourner et être soutenus comme il se doit et qu’est-ce que le système provincial doit faire aussi. Les problèmes de santé mentale ne commencent pas et ne finissent pas sur le campus universitaire, ils sont partout. De façon immédiate, on est en train de regarder toutes les façons de faire pour s’assurer que le filet soit aussi étanche que possible. C’est considérable le nombre de personnes qui sont affectées à plein temps sur le dossier de la santé mentale. Un des défis, c’est est-ce que la personne qui a des besoins, qui est en souffrance, qui est en crise, est-ce qu’elle sait à quelle porte aller frapper, où est le point d’entrée. Alors il faut que ce soit un peu la même philosophie que pour la violence sexuelle, c’est-à-dire que peu importe la porte où tu frappes, tout de suite le système sait où te canaliser et où aller chercher les ressources. Et là je pense qu’on regarde ça assez attentivement pour voir que c’est une politique de bien-être total. Quand tu as des problèmes de santé, de santé mentale, tu es pris en charge, mais aussi quand tu veux faire du sport et avoir des espaces de qualité pour vivre, c’est un peu tout ça notre politique de bien-être intégré.
LR : Comment parvenez-vous à mesurer les causes du problème ?
JF : Une des façons, on a des centaines de membres du personnel qui travaillent avec les étudiants. Ce qu’on essaie de faire, c’est un système où les gens se parlent, ont des forums et vont être capables d’identifier les épiphénomènes et aussi la situation générale sur le campus. On n’est pas différent quand on dit que dans la société, de mémoire, à peu près 25% des gens à un moment ou à un autre dans leur vie vont avoir un épisode de problème de santé mentale. On n’est pas différent.
LR : Au niveau des actions que l’U d’O va entreprendre, la campagne de sensibilisation dont vous avez parlé sera lancée quand ?
JF : On roule toutes sortes d’initiatives. Je pense que ça a été lancé cette semaine, une application uOttawa SécUo. On va inviter tous les membres de la communauté à s’inscrire. En gros, si on a un problème, tu cliques là dessus et tout de suite il y a un accès. C’est plus orienté sur l’urgence. On espère que les gens vont s’en servir. Avec des choses comme ça, on espère que les gens se sentent un petit peu plus rassurés que quelque part il y a quelqu’un qui est capable de les prendre en charge. Ce n’est pas un immense système où on ne sait pas où entrer.
LR : Il y aura-t-il davantage de ressources humaines qui y seront allouées ?
JF : Dans un monde idéal, on en mettrait plus. Vous connaissez notre situation financière. Et notre total est assez impressionnant. Donc dans un monde idéal, oui. Actuellement, on regarde si les ressources sont utilisées de façon optimale et tout n’est pas idéal non plus.
LR : Un dernier dossier est lié aux finances de l’Université d’Ottawa. Vous avez parlé de la situation budgétaire de l’Université d’Ottawa. Il en a été question durant la rencontre du Bureau des gouverneurs où votre vice-recteur Marc Joyal a parlé de la collaboration des Facultés et des départements dans la réduction du personnel. Ce qui nous a été dit dans les Facultés, c’est qu’il y a eu des conséquences négatives suite à ces mesures et que l’information que vous recevez est trop liée à celle de l’administration et du vice-recteur. Qu’en pensez-vous ?
JF : Ce qui est clair, c’est que vous soulevez quelque chose qui est très vrai. Le risque qu’on a quand on est recteur c’est d’être isolé et de voir le monde uniquement sous une lorgnette. Les gens ont tendance à nous dire ce qu’ils pensent qu’on veut entendre. Pour moi, il est très clair, je ne me prive jamais et je suis toujours très heureux d’aller rencontrer les gens. Récemment, quelques rencontres m’ont permis de prendre la dimension de la réalité que les étudiants ont vécue dans leurs interactions avec la faculté à la rentrée. Peut-être qu’on a fait face, cette rentrée-ci, à la tempête parfaite parce que le nouveau système de gestion de l’information n’est pas rodé. Normalement, à terme, cela devrait mener à des améliorations, mais ça a créé des problèmes et je pense qu’on essaie de les corriger en temps réel. Oui, on va progresser. Les situations budgétaires, oui, imposent des pressions sur le personnel, c’est 72% du budget. Ce qui est angoissant, c’est qu’on a un gouvernement qui depuis 3 ans n’a pas augmenté ses paiements de transfert aux universités. On a des coûts, année après année, qui augmentent de 3 % et qui s’ajoutent chaque année. Qui paye au bout ? Les étudiants. Avec des droits de scolarité. Et à un moment donné, non sans raison, les étudiants disent « la ligne monte; pourriez-vous arrêter de la faire monter? ». Je l’entends ce message-là.
LR : Selon vous, quelles seraient les solutions ?
On a un problème de taille structurelle. Pour moi, la situation, il faut convaincre et on a une campagne qui s’en vient et je suis prêt à donner la main aux étudiants pour qu’on travaille ensemble pour aller voir les partis politiques et leur dire « s’il-vous-plaît, pourriez-vous prendre vos responsabilités? ». Je pense que le gouvernement actuel, jusqu’à un certain point, avec l’OSAP [le programme d’assistance aux étudiants de l’Ontario], a fait des choses qui sont intéressantes, mais OSAP ne donne pas un sou de plus à l’Université pour son fonctionnement. Les étudiants sont pris à la gorge avec les frais de scolarité. Nous on est pris à la gorge pour essayer de balancer le budget avec des besoins de plus en plus pressants de part et d’autre.
LR : Au sujet des fonds d’investissements de l’Université, pourquoi l’U d’O a-t-elle refusé de désinvestir des industries de combustibles fossiles l’an dernier ?
JF : Vous êtes dur ! Je pense qu’on a eu une bonne discussion juste avant que j’arrive, au dernier Bureau des gouverneurs avant mon arrivée. Il y a eu une bonne discussion. Lundi, je vais déposer un rapport au Bureau des gouverneurs. Je pense que ce qui est intéressant de réaliser c’est que quand est venu le temps, tout le monde parle de désinvestissement. On se dit « comment on fait ça ». Cherchez, personne n’a écrit le livre, tout le monde est à tâtons. Les universités, qui comme nous essayons de véritablement changer nos façons de faire, d’aller dans des investissements responsables. C’est facile à dire, mais nos fonds, il y a des retraités au bout, on ne peut pas acheter des choses qui n’ont pas de rendement. Tous les mois, on paie des millions de dollars en retraites.
Là, le défi, c’est véritablement de développer de nouvelles façons de faire dans lesquelles on être sûr que le rendement se maintient, qu’on est responsable au plan écologique et au plan social aussi. Honnêtement, le travail qui s’est fait à l’U d’O depuis un an, c’est innovant. On n’est pas sûr qu’on a tout à fait la bonne solution. On la travaille avec les comités. Pour vous donner un exemple: si on achète des actions d’une compagnie, qu’est-ce qui nous garantit que compagnie soit écologiquement responsable et qu’elle ait de bonnes pratiques ? Ça demande des audits et le milieu ne nous fournit pas ça en ce moment. Ça vous donne une idée de l’ampleur de la complexité. Je pense qu’on s’en va dans la bonne direction de façon résolue. Je suis convaincu qu’on va y arriver, mais il faut donner le temps au temps.