– Par Camille Lhost –
Depuis plusieurs semaines, le mouvement Idle No More (Fini l’inertie) fait couler beaucoup d’encre. La Rotonde a rencontré des experts en droit et en histoire des peuples autochtones afin de comprendre quelles sont leurs revendications et surtout quels sont les facteurs sociaux, économiques et juridiques qui y sont liés.
« Les revendications des peuples autochtones ne sont pas nouvelles. Cela fait plus de 60 ans qu’ils réclament que les gouvernements successifs les écoutent et agissent pour leur développement économique et social », explique Marie-Pierre Bousquet, professeure agrégée au Département d’anthropologie de l’Université de Montréal. Alors pourquoi ces réclamations sont soudainement mises au-devant de la scène? La goutte qui a fait déborder le vase a été le dépôt des projets de lois omnibus C-38, en 2011, et C-45, en octobre dernier, qui modifient la Loi sur les Indiens et la Loi sur la protection des eaux navigables. « La colère liée aux modifications des lois est moins importante, par rapport à celle engendrée par la non-consultation des membres des communautés », soulève Sébastien Grammond, doyen de la Section de droit civil de l’Université d’Ottawa (U d’O), car leur plébiscite est un principe de la Constitution canadienne.
Deux types de lois régissent le fonctionnement des réserves autochtones: les lois des droits ancestraux et les lois des droits issus de traités. « La règle de base est de respecter les accords signés », note Nicolas Houde, professeur de sciences politiques à l’Université du Québec à Montréal.
Acquérir une autonomie
M. Grammond explique que les peuples autochtones n’ont pas accès aux fonds financiers qui sont alloués aux réserves par le gouvernement fédéral. Chaque dollar dépensé doit faire état d’une justification notée dans des papiers administratifs. « Les chefs croulent sous la paperasse lorsqu’ils veulent monter un projet. Il est évident que ce système ne leur permet pas de se développer économiquement et socialement », ajoute M. Grammond. M. Houde confirme: « L’une de leurs réclamations est l’acquisition d’une autonomie. La possession des leviers politiques les aidera dans leur développement puisqu’ils seront adaptés à leurs besoins ».
Des initiatives dans cette direction ont été instaurées dans plusieurs réserves, notamment dans la communauté crie de la Baie James, où le développement économique et social est désormais viable. Les membres de ce groupe ont noué des partenariats avec des compagnies privées pour contrôler l’extraction des ressources naturelles présentes sur leurs territoires et permettre à leurs jeunes de travailler.
Un compromis bilatéral
Depuis les années 1950, le dialogue entre les deux parties n’est pas vraiment établi. Les multiples réunions avec les membres du gouvernement fédéral n’ont pas mené à de grandes décisions, si bien que plusieurs Autochtones sont pessimistes quant aux prochains résultats. « Il est certain que le gouvernement fédéral et les membres de Idle No More devront chacun mettre de l’eau dans leur vin pour être en accord », ajoute M. Grammond.
Le gouvernement conservateur avait convoqué les membres des Premières nations au début 2012, mais peu d’avancées concrètes ont été constatées depuis. « Je pense que les choses évolueront lorsque le gouvernement aura la volonté d’écouter les revendications de ses citoyens et de mettre en place des solutions adaptées, au niveau local et à long terme », ajoute M. Houde.
Réduire les inégalités sociales
Les revendications actuelles concernent les conditions sociales dans lesquelles vivent les autochtones, avec leurs conséquences parfois dramatiques. Suicides, taux d’incarcération élevés, chômage et analphabétisme, « tous les indicateurs sociaux sont plus mauvais dans ces régions-là qu’ailleurs », note Mme Bousquet. Pour elle, le gouvernement fédéral doit investir dans des écoles et des lieux culturels pour permettre aux Premières nations de s’ouvrir sur le monde. « Mais il ne suffit pas de leur construire de beaux bâtiments, il faut aussi les nourrir et les chauffer pour qu’ils réussissent », poursuit-elle.
Selon Mme Bousquet, les communautés ont aussi des difficultés à emprunter de l’argent à des banques pour ouvrir des commerces, négocier avec des entreprises minières ou développer le tourisme. Ces freins, couplés aux distances géographiques avec les villes, n’aident pas leur essor. « Ils ont d’énormes ressources environnementales et culturelles, mais qu’est-ce qu’elles sont loin! », note Mme Bousquet.
Éduquer l’opinion publique
Les réseaux sociaux jouent un rôle non négligeable dans la profusion du mouvement Idle No More à travers le Canada, ce qui l’aide à gagner en visibilité et en notoriété. Mais pour Mme Bousquet, les citoyens canadiens ne connaissent pas l’histoire de leur pays ni la culture de ces peuples, ce qui ralentit leur implication dans le mouvement. « Les personnes issues de communautés autochtones sont des gens comme vous et moi, ordinaires, normaux, mais qui souffrent du reliquat de la colonisation interne ». D’après l’experte, ces peuples portent les conséquences aujourd’hui des migrations sociales d’hier. Elle souhaite que l’opinion publique « change de regard sur ces communautés ».
Elle espère aussi « qu’au moins, ces mobilisations donnent un cours d’histoire aux canadiens ». Elle affirme aussi qu’il faut d’abord combattre l’ignorance générale pour mobiliser l’opinion publique: « Je suis certaine que beaucoup plus de citoyens s’indigneraient de cette situation s’ils connaissaient vraiment l’histoire des autochtones et des difficultés qu’ils ont à se sortir de la pauvreté dans laquelle ils sont plongés », conclut-elle.