
Retour sur l’année scolaire avec le recteur et vice-chancelier Jacques Frémont
Crédit photo: FÉUO
Par Gabrielle Lemire, cheffe actualités
En cette fin d’année scolaire, La Rotonde s’est entretenue au téléphone avec le recteur et vice-chancelier de l’Université d’Ottawa Jacques Frémont. En escale à Montréal entre deux voyages à l’étranger, celui-ci a pris le temps de répondre à nos questions sur les défis qu’a comportés l’année 2018-2019.
La Rotonde : L’année scolaire a été chargée, mouvementée. Quels ont été les plus grands défis à surmonter depuis la rentrée pour vous, en tant que recteur de l’Université d’Ottawa ?
Jacques Frémont : Un des défis particuliers cette année a été le changement de gouvernement à Queen’s Park à Toronto et donc l’arrivée d’un nouveau gouvernement avec de nouvelles façons de faire, de nouvelles priorités politiques. Sinon, il y a toujours les défis financiers et budgétaires. Un autre défi a été la mise à jour de tous nos programmes d’enseignement, il y a de grandes manoeuvres qui se font pour essayer de rendre nos programmes les plus pertinents et les plus attrayants possibles.
LR : Dans le cadre de la politique provinciale de Doug Ford, qu’est-ce qui vous inquiète le plus par rapport à ces changements populistes ?
JF: C’est une nouvelle façon de faire et moi, ce qui m’inquiète beaucoup, c’est l’impact sur les étudiants. Est-ce qu’on va réussir à sauver la mise ? Il y a eu une réduction des frais de scolarité de 10 %, ce qui est un manque à gagner certainement pour l’Université. Mais ce qui m’inquiète le plus, c’est davantage l’impact sur les étudiants, pas de la diminution des droits, mais des changements sur le programme de prêts et bourses RAFÉO, c’est difficile de voir quel va être l’impact réel sur les étudiants. C’est un souci considérable que certains décident de ne pas venir à l’université à cause de ça.
LR : Même si certains services pourront être maintenus, certains tombent sous le principe de liberté de choix mis en place par le gouvernement progressiste-conservateur. Est-ce qu’on peut vraiment apposer l’étiquette de facultatif sur certains frais connexes aux droits de scolarité ?
JF : Je pense qu’on a sauvé les meubles pour certains frais, relatifs à la santé, aux assurances, aux sports. C’était extrêmement important que ça demeure obligatoire. Moi, je dois vous avouer que j’étais très confortable dans la situation antérieure, mais les règles ont changé alors il va falloir voir le comportement des étudiants, s’ils vont s’extraire ou vont comprendre que parfois ajouter quelques dollars peut faire une grande différence pour la vie communautaire et l’implication sociale.
« Il va falloir voir […] si les étudiants vont comprendre que parfois d’ajouter quelques dollars ça peut faire une grande différence à la vie communautaire et à l’implication sociale. »
LR : On parle souvent d’apathie, de manque d’engouement pour la vie sur le campus. Comment trouvez-vous l’état des lieux par rapport à l’implication des étudiants ?
JF : Ce qui est sûr c’est que l’implication des étudiants se fait de toutes sortes de façons. C’est important pour la vie du campus et pour l’expérience étudiante. Il semble qu’il y ait un peu d’apathie. Maintenant, est-ce que c’est anormal ? Est-ce que ça vient avec la génération de nos étudiants ? Je ne le sais pas. Il y a plusieurs clubs et initiatives que les étudiants prenaient, et s’ils venaient à disparaître faute d’argent, on aurait un campus beaucoup moins riche.
LR : Comment s’assurer en tant qu’écosystème universitaire que les allégations de fraude visant des membres de l’exécutif de la Fédération étudiante de l’Université d’Ottawa ne se reproduisent pas avec le nouveau Syndicat ?
JF : Nous allons négocier un contrat avec la nouvelle association où nous allons exiger que des normes de saine gouvernance soient adoptées. On ne peut pas se permettre de retomber dans des situations comme dans celle où on était. Il faut aider la nouvelle association à reconstruire le lien de confiance et s’assurer que cette situation déplorable ne se reproduise pas. Mais, la partie doit se jouer entre les étudiants. Ce sont eux qui ont à faire des choix, à investir leur vie associative. Ce serait réprouvable si le recteur se mêlait des choix des étudiants à ce niveau-là.
LR : Quelles démarches sont entreprises pour entretenir des relations non seulement harmonieuses mais qui vont bénéficier aux deux entités entre l’administration de l’Université et le Syndicat ?
JF : Il va falloir apprendre à vivre ensemble (rires). Jusqu’à présent, on me dit que ça s’est très bien passé. Il y a une volonté de tourner la page, de faire mieux. Je me réjouis si on a un nouveau syndicat étudiant qui est prêt à travailler pour les affaires académiques, parce qu’on a eu beaucoup de difficultés ces dernières années. Il n’y avait pas une présence étudiante aussi fidèle qu’on aurait pu le souhaiter. Il faut apprendre à travailler ensemble et ça me fera plaisir de rencontrer la nouvelle direction du Syndicat.
LR : L’année a encore une fois été marquée par des négociations avec l’Association des professeurs à temps partiel de l’Université d’Ottawa avec qui les relations continuent d’être tumultueuses. Qu’est-ce qui justifie les écarts entre les professeurs à temps plein et les professeurs à temps partiel ?
JF : Ce sont des gens qui occupent des fonctions différentes. En salle de cours, les fonctions sont semblables : enseigner, amener les étudiants à développer leurs habiletés. Les écarts font partie de ce qu’on considère juste et équitable par rapport aux autres fonctions exercées par les professeurs. Pour ceux à temps plein, l’enseignement est une partie de leurs tâches mais ils remplissent d’autres tâches importantes, en recherche et rayonnement de l’établissement. Pour les professeurs à temps partiel, ces autres volets ne sont pas nécessairement présents. Certains profs à temps partiel sont embauchés sur contrat à temps plein et enseignent six cours par année. Ils ont des revenus plus stables, plus conséquents. On va vers là de façon résolue et il faut négocier les choses avec les syndicats, c’est normal.
LR : La sélection des professeurs et les priorités quant à la pédagogie font partie d’une grande séance de consultation participative pour imaginer l’an 2030 dans le cadre du plan stratégique. Où en êtes-vous dans les démarches ?
JF : On respecte les délais. L’affaire des consultations vient de se terminer il y a quelques jours. On collige tout ce qui a été entendu et tout ce qui a été mis sur la table. Beaucoup d’idées innovantes, pas toutes convergentes et c’est souhaitable. Si on parlait tous d’une même voix sur un campus, je pense qu’il y aurait lieu de s’inquiéter. Ce qu’on a entendu sera publié dans les prochaines semaines et diffusé à la communauté pour voir la profondeur et l’amplitude de l’exercice. On espère retourner en consultation vers le mois de mai pour avoir des orientations stratégiques claires.
« Si on parlait tous d’une même voix sur un campus, je pense qu’il y aurait lieu de s’inquiéter. »
LR : Le rayonnement du bilinguisme est d’ailleurs au cœur du plan stratégique et rejoint le plan qu’a émis la professeure Linda Cardinal en février. Concrètement, qu’est-ce que l’Université va faire pour assurer de continuer à faire rayonner le bilinguisme au niveau local, provincial, national et international ?
JF : C’est une série de mesures qu’il va falloir prendre pour s’améliorer, même si plusieurs choses remarquables se font déjà sur le campus. L’Université d’Ottawa a un rôle de leader dans la francophonie canadienne. Le seul bémol à ce plan, c’est qu’on ne peut pas tout faire dans les premiers mois. C’est un plan sur cinq ans et nous en sommes donc rendus à qui va exercer le leadership. Être bilingue, ce n’est pas seulement parler une autre langue, c’est d’avoir accès à une autre civilisation. C’est sûr que l’anglais est une langue tout à fait privilégiée de communication internationale. La langue française a une pertinence indéniable quand on dit que le prochain siècle, la prochaine décennie sera celle de l’Afrique. Les Africains entre pays parlent anglais ou français. Mais ne vous contentez pas de deux langues, allez en chercher une troisième. La formation universitaire n’est pas complète sans avoir la dimension internationale, linguistique. Ce n’est pas parce que le monde se ferme et le monde est en repli qu’il faut se fermer, au contraire. Les universités se doivent d’encourager les jeunes à s’éclater, à aller voir le monde, parce que la planète en entier leur appartient.
LR : En parlant d’engagement citoyen chez les étudiants, plusieurs revendications ont lieu présentement sur le climat et sur le réchauffement climatique. Que pensez-vous de ces mobilisations ?
JF : On en aura jamais assez. Si les jeunes ne le font pas, ce n’est pas le reste de la société qui va le faire. Sans faire de l’âgisme, ce ne sont pas les vieux qui le feront. Les discours défaitistes, les discours identitaires, les moins de 25 ans ne marchent pas là-dedans. Vous avez de longues décennies devant vous et c’est vous qui allez payer le prix s’il n’y a pas de changements qui sont faits au niveau du climat et de la protection de l’environnement. De pousser les problèmes vers les générations futures, il faut que ça cesse. À l’Université d’Ottawa, on fait des efforts depuis des années, on est un des campus les plus verts. Mais il y a encore bien des efforts à faire, il ne faut pas s’asseoir sur nos lauriers.
« Vous savez, avoir des manifestations devant mon bureau, ça fait partie de la game aussi, ça va me faire plaisir. »
LR : Au sujet de la politique provinciale et des changements dans les idéologies politiques, est-ce que ce sont des choses qui vous alarment en tant qu’universitaire ?
JF : Le terrain politique, l’espace politique doit être rempli de discours différents et ce que je redoute, c’est la polarisation des discours. Si tu n’es pas complètement d’une opinion, tu es complètement contre. Alors on en arrive dans des monologues. Actuellement, on voit des communautés qui monologuent au lieu de dialoguer. S’il y a un lieu où les francs dialogues doivent se produire, c’est en milieu universitaire. Il faut qu’il y ait de l’action, il faut que ça brasse un peu. Il ne faut pas céder au cynisme ambiant. Il faut rebâtir la confiance avec la communauté universitaire qui a été un peu échaudée ces dernières années. La direction de l’Université va être là pour soutenir tout dialogue pour que les étudiants réinvestissent l’espace. Vous savez, avoir des manifestations devant mon bureau, ça fait partie de la game aussi, ça va me faire plaisir (rires).