
Réaction à l’article « L’Université d’Ottawa ne s’aide pas, mais pas du tout », publié le 4 septembre 2018
Par Simon Lapierre, Professeur à l’École de service social
La Rotonde publiait récemment (4 septembre 2018) un article critiquant l’Université d’Ottawa pour les mesures mises en place en 2014, lorsque des accusations d’agression à caractère sexuel ont été portées à l’endroit de joueurs de l’équipe de hockey des Gee-Gees. Dans cet article, Maxime Jolicoeur reproche notamment à l’Université d’Ottawa d’avoir suspendu son programme de hockey pour la saison 2013-2014 et les saisons suivantes, alors que des accusations avaient été portées à l’endroit de seulement deux des joueurs de l’équipe : « suspendre un programme complet pour les actions de deux joueurs (qui n’avaient aucunement été prouvées à ce moment-là) semble un peu, ou même, très ridicule ». De plus, l’auteur soutient que le fait que ces deux joueurs aient été reconnus non-coupables démontre à quel point l’Université d’Ottawa a « très mal réagi » face à cette situation.
On peut être en accord ou en désaccord avec ces mesures et mon intention n’est pas de défendre la position de l’Université d’Ottawa. Cependant, il me semble important de relever certains éléments extrêmement problématiques dans les propos de l’auteur, qui laissent sous-entendre que les principes et les règles qui régissent le système de justice pénale s’appliquent également en milieu universitaire.
Les universités ne sont pas régies par les mêmes principes et par les mêmes règles de fonctionnement que le système de justice pénale. Ainsi, lorsque des situations de violence sexuelle sont rapportées, les universités doivent fonder leurs décisions sur un processus rigoureux, mais les faits n’ont pas à être prouvés hors de tout doute raisonnable. Elles n’ont certainement pas non plus à attendre la tenue d’un procès et éventuellement d’un verdict de culpabilité pour mettre des mesures en place pour assurer la sécurité et le bien-être des victimes et de l’ensemble de la communauté universitaire. Dans ce sens, le fait que les deux joueurs des Gee-Gees n’aient pas été reconnus coupables d’agression à caractère sexuel au terme d’un procès n’invalide en rien la décision de l’Université d’Ottawa.
Par ailleurs, le fait que les deux joueurs n’aient pas été reconnus coupables d’avoir commis un acte criminel ne signifie pas nécessairement qu’ils ont eu une conduite irréprochable et qu’aucun geste inapproprié ou inacceptable n’a été posé. Dans les universités, le Code criminel ne devrait pas se substituer à un code de conduite interne, puisque certains comportements ne sont pas tolérés sur les campus sans nécessairement constituer des actes criminels. Dans le même sens, il semble problématique de présumer que, parce que des accusations ont été portées à l’endroit de seulement deux joueurs, aucun autre membre de l’équipe n’a été impliqué (directement ou indirectement) dans cette situation. Par exemple, il est possible que d’autres joueurs de l’équipe, sans avoir été accusés d’agression à caractère sexuel, aient néanmoins eu des comportements inappropriés ou inacceptables, ou qui ne correspondent pas à ce que nous attendons des athlètes qui représentent l’Université d’Ottawa.
Enfin, notons que cette tendance à vouloir faire appliquer les principes et les règles de fonctionnement du système de justice pénale en milieu universitaire se manifeste uniquement dans les situations de violence sexuelle. Par exemple, peu de gens contestent les mesures mises en place par les universités lors de situations de plagiat, qui peuvent pourtant inclure des sanctions telles que la suspension ou l’expulsion. Le plagiat n’est pourtant pas un acte criminel et l’évaluation des situations de plagiat n’exige pas une preuve hors de tout doute raisonnable.
Au cours des dernières années, plusieurs universités canadiennes ont été critiquées pour leur inaction lors de situations de violence sexuelle. L’Université d’Ottawa aura au moins eu le courage d’agir, envoyant ainsi un message non-équivoque aux victimes, aux agresseurs et à toute la communauté universitaire : la violence sexuelle est prise au sérieux et n’est pas tolérée sur notre campus.
NDLR: Le texte auquel fait référence l’auteur de cette lettre est une chronique, et non un article.