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Rayures dans la carte ministérielle

Crédit visuel : Hidaya Tchassanti — Directrice artistique

Chronique rédigée par Tom Chazelle Schulze — Journaliste

Le 14 mars dernier, le nouveau premier ministre Mark Carney a dévoilé la composition de son cabinet ministériel. Passant de 37 ministres à 24, l’efficacité semble être le mot directeur du technocrate économique. Deux absences font particulièrement réagir : le ministère des Langues officielles et celui des Femmes et de l’Égalité des genres.

Un signal inquiétant

Le portefeuille du poste de Ministre des langues officielles, jusqu’au 15 mars dans les mains de Rachel Bendayan, tombe maintenant sous la compétence du Ministre de la Culture et de l’Identité canadienne, Steven Guilbeault. Ceci soulève une question : existe-t-il vraiment une culture, une identité canadienne ? Si l’intitulé du ministère peut sembler poétique et inclusif, le message est tout sauf rassurant : l’égalité linguistique n’a plus de Ministre qui lui est propre.

Pour ceux et celles qui vivent en français en situation minoritaire, cette décision représente un poids très important : plus qu’un choix administratif de la part du fédéral, il s’agit d’une perte de poids politique pour ces communautés. Le choix de regrouper la francophonie avec la culture, l’identité et les parcs nationaux me semble  envoyer un signal clair : les priorités sont diluées.

Si le gouvernement Carney affirme vouloir simplifier la structure ministérielle et la rendre plus efficace, on pourrait l’interpréter comme une marginalisation déguisée. Quelles sont les priorités nationales ?

Une fusion troublante 

Le ministère des Femmes, de l’Égalité des genres et de la Jeunesse a également été transféré à Steven Guilbeault le 14 mars. S’il est important de souligner que Femmes et Égalité de genres Canada (FEGC) demeure bel et bien un ministère du gouvernement fédéral, cette réorganisation suscite des inquiétudes et des doutes.

Soit, le mandat officiel de FEGC est officiellement maintenu, mais l’absence d’un ministère dédié spécifiquement à l’égalité des genres dans la nouvelle composition du cabinet ministériel envoie un signal ambigu. Pour certains groupes, cette fusion administrative contribue à diluer la puissance politique de ce ministère, qui demeure essentiel dans la lutte contre les inégalités systémiques vécues par les femmes et les minorités de genre.

L’Alliance des femmes de la francophonie canadienne (AFFC) dénonce dans un communiqué de presse du 14 mars cette fusion. Pour Nour Enayeh, présidente de l’AFFC, « l’égalité des genres ne peut être reléguée au second plan. Un gouvernement qui se dit progressiste ne peut ignorer l’importance d’un ministère dédié pour garantir des politiques publiques efficaces et ambitieuses en faveur des femmes, des personnes LGBTQIA+ et des groupes en situation de vulnérabilité ».

Le silence du nouveau gouvernement sur la question de la fusion du ministère s’ajoute à l’inquiétude. Sans ministre désigné.e individuellement à ce poste, qui défendra désormais les enjeux de genre à la table du Conseil des ministres ? Comment le gouvernement pourra-t-il assurer que les décisions politiques prendront toujours en compte les questions d’égalité de genres ?

Question d’efficacité gouvernementale ?

Le gouvernement de Carney a présenté ces décisions comme des choix d’efficacité gouvernementale. Moins de ministères, plus de cohérence. Pourtant, ces choix traduisent plutôt un changement de vision.

Sous le gouvernement de Justin Trudeau, les ministères des Langues officielles et de l’Égalité des genres représentaient de véritables engagements politiques. Soit, ils n’étaient pas toujours parfaits, mais au moins, ils existaient et envoyaient un message de soutien. Ils rappelaient l’importance de ces enjeux, qui nécessitent des priorités spécifiques, dans les politiques publiques canadiennes.

Avec ces fusions, le gouvernement Carney envoie un message différent : ces enjeux ne sont pas assez importants pour avoir leur propre ministère, ils peuvent être combinés à d’autres postes. Pourtant, cette stratégie pose des risques importants : comment insister sur l’importance de ces enjeux, s’il n’y a pas des ministres dédié.e.s ? Qui sera le.la porte-parole des communautés impliquées? Qui assurera que ces enjeux ne se noient pas ?

L’invisibilisation de ces enjeux, et d’autres aussi, car rappelons-le, 13 ministères ont été supprimés ou combinés, semble imminente. Derrière l’efficacité gouvernementale se cache une reconfiguration des priorités gouvernementales.

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