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RateMyProfs ou HateMyProfs ?

Crédit visuel : Nisrine Nail – Directrice artistique

Article rédigé par Camille Cottais – Cheffe du pupitre Actualités

RateMyProfessors est un site très utilisé par les étudiant.e.s au moment de sélectionner leurs cours. Si ce système de notation des professeur.e.s par les élèves peut permettre à ces dernier.ère.s de s’exprimer et aux professeur.e.s de s’améliorer, les critiques qui y sont faites sont loin d’être toujours constructives. Vengeance, diffamation et commentaires sur le physique sont courants sur le site, dont la fiabilité laisse également à désirer.

Le site RateMyProfessors (RMP) a été créé en 1999 par John Swapceinski, rappelle Rahim Baba, professeur à temps partiel en sociologie et anthropologie. Il s’agit d’une plateforme permettant d’attribuer aux professeur.e.s, principalement nord-américain.e.s, une note allant d’un à cinq, selon deux critères : la qualité du cours et la difficulté de celui-ci.

Trois étudiant.e.s et trois professeur.e.s ont été interrogé.e.s dans le cadre de cet article. La totalité des étudiant.e.s ont déclaré consulter RMP lors du choix de leurs cours, tout en étant conscient de ses limites. À l’inverse, tou.te.s les professeur.e.s ont affirmé accorder peu voire aucune importance au site.

Ainsi, Baba déclare rire des commentaires laissés par les étudiant.e.s, tandis que Charles Le Blanc, professeur de philosophie et de traduction, n’y prête aucune attention. « Lorsque j’évalue les étudiant.e.s, je le fais à visage découvert. Je ne peux donc pas me permettre de dire n’importe quoi à un.e étudiant.e, par contre les étudiant.e.s qui évaluent sous couvert de l’anonymat peuvent se le permettre », dénonce-t-il.

Des cours trop difficiles ? 

Beaucoup de commentaires que l’on trouve sur RMP ne portent pas sur la qualité du cours mais plutôt sur son niveau de difficulté ou sa charge de travail. Les étudiant.e.s se plaignent fréquemment qu’il y ait trop de travail, trop de lectures à faire ou d’avoir obtenu une mauvaise note, explique une professeure à la Faculté des sciences sociales qui a souhaité rester anonyme.

La professeure anonyme avance que les personnes laissant des commentaires négatifs sont souvent celles.ceux qui ont obtenu les moins bonnes notes. À l’inverse, continue-t-elle, les étudiant.e.s qui aiment le cours et les lectures sont des personnes qui travaillent fort et ont de bonnes notes, et il s’agit rarement de celles.ceux qui commentent sur RMP.

Zachary Robichaud, étudiant en troisième année en science politique et communication, reconnaît que certains commentaires émanent uniquement de frustrations et non de raisons légitimes. Il consulte donc le site avec précaution, l’utilisant davantage pour prédire l’expérience du cours que pour éliminer de son emploi du temps les professeur.e.s mal noté.e.s, et accordant plus de crédit aux opinions de ses ami.e.s qu’aux commentaires présents sur le site. D’autres au contraire, telle que Morgan McIltrailt, étudiante de troisième année en marketing, évitent activement les professeur.e.s qui ont une faible note.

Risque de vengeance

Baba souligne que RMP donne aux jeunes un certain pouvoir, qu’ils.elles peuvent utiliser pour « faire couler les professeur.e.s ». Le Blanc ajoute même qu’un site comme RMP, qu’il surnomme HateMyProfs, peut devenir une campagne de haine, de discrédit et même de diffamation contre un.e professeur.e : « J’ai signé la lettre des 34 pour appuyer Verushka Lieutenant-Duval, et cela a fait de moi une cible. J’ai fait l’objet d’un lynchage indigne, on a même appelé à s’en prendre à moi physiquement », explique-t-il. Il a ainsi été contraint de contacter RMP pour leur demander de retirer les nombreux commentaires le qualifiant de raciste.

Pour Le Blanc, c’est le corps étudiant qui se discrédite en utilisant RMP. Ce site n’est pour lui qu’un « déversoir de frustrations des étudiant.e.s » et ne devrait pas exister, un avis que partage la professeure anonyme. « Que se passerait-il s’il existait un site qui s’appelle RateMyStudents, où les membres du corps professoral pourraient commenter et évaluer les étudiant.e.s ? », nous interpelle Le Blanc. Baba se montre plus modéré, affirmant que RMP pourrait être un bon outil si les commentaires visaient tous véritablement à ce que les professeur.e.s s’améliorent.

Les commentaires laissés sur RMP peuvent ainsi porter atteinte à la réputation d’un.e professeur.e, mais aussi à sa santé mentale, compte tenu de la violence et de la méchanceté de certains commentaires. La professeure anonyme explique qu’aller sur ce site est pour elle très décourageant. Elle regrette également qu’il n’y ait pas de droit de réplique, ce qui prive les professeur.e.s de la capacité de se défendre, face à des accusations pas toujours fondées.

La fiabilité du site en cause

La professeure de sciences sociales juge que RMP ne reflète aucunement la réalité du cours et n’est pas fait selon un processus statistique. Les résultats sont ainsi très aléatoires et arbitraires, dépendamment de quels individus iront mettre un commentaire. Ils sont également décontextualisés, ne mentionnant pas par exemple le nombre d’étudiant.e.s dans le cours.

Ajoutés à la subjectivité des commentaires et aux émotions négatives en jeu mentionnées plus tôt, il est certain que le site comporte de nombreuses lacunes et une grande marge d’erreur, qui font conclure à la professeure anonyme que la plateforme n’est pas sérieuse, et donc que son contenu ne devrait pas être pris au sérieux par les étudiant.e.s.

Des commentaires sur le physique

La catégorie « hotness » a été retirée du site en 2018, lorsque plusieurs professeur.e.s l’ont accusé de contribuer au sexisme dans le monde universitaire. Malgré tout, les commentaires sur le physique des professeur.e.s n’ont pas cessé. « Certain.e.s vous notent mal, car ils.elles n’aiment pas votre physique, votre façon de vous habiller, votre coiffure, votre accent, votre niveau de langue, etc. », affirme le professeur Baba. Il est fort probable que le racisme, tout comme la misogynie, puisse influencer les notes de certain.e.s professeur.e.s vers le bas, continue-t-il.

La professeure anonyme confirme cette idée : les professeur.e.s les mieux noté.e.s sont selon elle en général des hommes, blancs, assez jeunes et correspondant aux critères de la masculinité hégémonique. Ils sont considérés comme « cool », tandis que les professeur.e.s femmes, racisé.e.s ou dont la langue d’enseignement n’est pas la langue maternelle sont moins bien noté.e.s, continue-t-elle.

Pour McIlrait, les commentaires de RMP ne visent pas l’individu mais plutôt son style d’enseignement : « Je pense que cela rend les gens responsables du service qu’ils.elles fournissent. J’aime les sites d’évaluation parce qu’ils apportent un niveau supplémentaire de transparence pour les étudiant.e.s ou les consommateur.ice.s. Il est bon de savoir ce que l’on peut attendre d’un service pour lequel on paie. »

Robichaud au contraire trouve déshumanisant le fait de noter un être humain, rejoignant le professeur Le Blanc qui pense que l’on peut évaluer une performance, mais pas l’être d’une personne. « On peut mettre un chiffre à ce que l’on a, mais pas à ce que l’on est », résume-t-il.

Ratemyprofs vs système d’évaluation officielle de l’Université

Aucun des trois étudiant.e.s interrogé.e.s n’avaient connaissance que les évaluations de cours donnaient lieu à des rapports consultables via uoZone. Après les avoir consultés, Robichaud estime que l’information est strictement quantitative et ainsi que les rapports « disent beaucoup pour ne rien dire ». RMP est donc préféré par les élèves, car plus personnalisé et accessible.

La professeure anonyme préfère quant à elle amplement le système officiel d’évaluation, car il contient dix questions précises et pertinentes, puis la possibilité pour l’étudiant.e d’écrire un commentaire plus personnalisé. Elle affirme que les instances officielles sont bien plus réfléchies, ne donnent pas lieu à des commentaires sur le physique, et donc semblent davantage prises au sérieux, tandis que RMP serait utilisé par les étudiant.e.s pour « se défouler ». Il semble alors que les deux systèmes comblent des besoins distincts : la communication d’élève à professeur.e pour le système officiel, et la communication entre étudiant.e.s pour RMP.

Quant à Le Blanc, il ne prête attention ni aux commentaires de RMP ni à ceux de l’évaluation officielle de l’Université. Il juge que celle-ci peut avoir ses mérites, donnant moins lieu à des déversements de haine, notamment car davantage d’étudiant.e.s ayant de bonnes notes et aimant le cours y répondent. Néanmoins, elle ne remplit selon lui pas les fonctions qu’elle prétend remplir, car un.e professeur.e titulaire ne sera jamais licencié.e, même si ses évaluations sont très mauvaises.

Finalement, on peut déplorer, comme le fait la professeure anonyme, que les commentaires de RMP soient presque exclusivement rédigés en anglais, et ce même pour des professeur.e.s francophones enseignant des cours en français.

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