
Qu’ils mangent de la brioche : les riches s’enrichirent, les étudiants s’appauvrissent
Les mérites de l’éducation accessible ont été réitérés à maintes reprises. Toutefois, après le vote du Bureau des Gouverneurs (BdG) pour la dixième hausse des frais de scolarité en autant d’années, il est grand temps de comprendre ce qu’il se passe. Plus que de comprendre simplement où l’on en est, il faut faire un retour sur ces dix années de hausse afin d’en déceler les raisons et les coupables.
Valeur nutritive : où l’on en est en quelques statistiques
En 2012, la dette moyenne des étudiantes, après un diplôme de quatre ans, a atteint 37 000$. Les tous nouveaux étudiants payeront, lorsque tous les frais accessoires seront tabulés, environ 10 000 $ pour leurs quatrièmes années.
Certains penseront que les frais ne font que suivre l’inflation. Au contraire, même en tenant en compte l’inflation, les frais de cette année triplent ceux du début des années 1990. Chaque année, les frais de scolarité à l’U d’O augmentent de deux à quatre fois le taux d’inflation. Cette année, l’étudiant moyen doit travailler plus de 800 heures au salaire minimum pour payer un an de scolarité. À 15 heures par semaine – ce maximum établi par plusieurs bourses sur le campus – les étudiants devront travailler plus de 53 semaines par année pour simplement payer leur frais. Ça, c’est avant parler de logement, de nourriture et d’évènements sociaux, etc. Comparons à 1993, alors 400 heures étant suffisant au salaire minimum de l’époque, soit 6,35 $ de l’heure.
Certes, les étudiants peuvent travailler à temps plein l’été. Toutefois, le taux de chômage étudiant au cours de l’été 2015 a encore augmenté de 1,5 %. La récession se fait ressentir de tous bords, tous côtés.
Toute une recette : dix ans de hausse pour affaiblir l’opposition
L’histoire des dix dernières années de mobilisation étudiante en Ontario, c’est l’histoire d’un mouvement qui se fait complètement écraser par une situation socioéconomique. Le fardeau des frais et de la dette étudiante est si énorme qu’il affecte même l’habileté de s’y opposer.
L’année 2008 était sans doute la plus engagée à Ottawa. Fin octobre 2008, les étudiants ont déposé une pétition de 15 000 signatures au gouvernement Mcguinty, demandant une baisse des frais. Début novembre, jusqu’à 3000 étudiantes manifestent dans les rues d’Ottawa, s’écriant « À bas les frais! ». Mi-décembre, alors que l’U d’O a annoncé qu’une nouvelle hausse de 4 à 8 % ramasserait sept millions de dollars, même Pierre De Blois, membre du BdG, se demande « si [la hausse] était refusé, les sept millions affecterait quoi exactement? ». Très bonne question considérant que l’U d’O bénéficiait déjà de 103,4 M$ en excédents des revenus. Mais, la décision est presque unanime : encore une hausse!
En 2009, les frais augmentaient, mais le nombre de manifestants diminuait. Ce n’est pas une coïncidence que le mouvement s’est affaibli l’année-même que l’Ontario est devenu la province où l’éducation est le plus dispendieux – un titre que la province maintient jusqu’à ce jour. Moins de 1000 étudiants s’assemblent pour la manifestation ottavienne du 5 novembre.
Un autre 4 à 8 % en 2010. La moyenne des frais en Ontario dépasse de 1 200 $ la moyenne nationale pour atteindre 6307 $. Encore 4 à 8 % en 2011. Les manifestations rassemblent maintenant moins de 300 étudiants. Toujours 4 % à 8 % en 2012.
Les étudiants payaient; l’Université encaissait. « C’est vrai que durant les dix dernières années », avoue Allan Rock dans une entrevue avec La Rotonde en 2012, « nous [l’U d’O] avons eu des surplus. Au total, c’est presque 500 millions de dollars. »
Et alors que le Québec se révoltait, l’Ontario n’avait même plus le luxe de s’arrêter et de penser à la situation. Sans temps ni ressource à investir, le mouvement se dissipe. Depuis, les frais ont augmenté du nouveau maximum légal (3 à 5 %) chaque année.
À qui la part du gâteau?
Est-ce au fédéral?
Entre 1992 et 2012, les transferts fédéraux (calculé en fonction du PNB) ont baissé de 50 %. Avec les élections qui approchent, aucun chef de parti ne discute même de la problématique des frais. Justin Trudeau, qui manifestait avec la FÉUO en 2012, semble avoir ravalé sa langue. Tom Mulcair, le soi-disant gauchiste, s’exprime ouvertement contre la gratuité scolaire. Et Harper? Ne me fais pas rire.
Le gouvernent Harper a préféré investir dans les poches des riches au dépens des étudiants. Selon Statistique Canada, l’éducation postsecondaire au Canada coûte 4,2 milliards par année en frais de scolarité. Le fractionnement du revenu, de son côté, en coûte 2,2 $ milliards. Il ne suffirait alors que de réinstauré l’imposition des sociétés au taux de 2009 (14 % plutôt que 11,5 %) afin d’accumuler l’autre 2 milliards et voilà! Si une chose est claire, c’est que ce n’est pas une question d’argent, c’est une question de valeurs. Le gouvernement Harper a fait ses choix.
Est-ce au provincial?
Depuis le début des années 1990, les frais de scolarité ont augmenté en Ontario une vitesse étourdissante. En 2009, l’Ontario est devenu le roi des frais : aucune autre province ne coûte plus cher qu’ici. Comparons la hausse de 239 % en Ontario (de 1993 à 2015, ajusté à l’inflation) à une celle de 35 % à Terre-Neuve pour la même période, sans même parler des réductions des frais en Nouvelle-Écosse entre 2007 à 2010. Avec les frais accessoires, la moyenne ontarienne est prédite à près de 9 500 $ l’an prochain.
Est-ce à l’université?
Curieusement, le Canada demeure un des pays qui subventionne le plus l’éducation universitaire. Seule la Suisse investit plus d’argent par étudiant que la vingtaine de milliers de dollars que déversent les différents paliers de gouvernement aux universités comme l’U d’O. Mais si le Canada investit plus d’argent que l’Allemagne, la Suède, la Finlande et tous ces autres pays, pourquoi l’éducation est-elle gratuite là-bas alors que nous déversons un montant monstrueux chaque année?
En bref, nos riches sont les plus riches. En pouvoir d’achat, les professeurs canadiens sont les mieux payés au monde. Mais il ne faut pas oublier nos administrateurs. De 2000 à 2013, le salaire (ajusté pour l’inflation) du personnel non enseignant des universités de l’Ontario a augmenté de 78 %, soit d’un total de 934 $ millions à 1,7 $ milliards. L’an dernier, le salaire de Mona Nemer, vice-rectrice à la recherche à l’U d’O, a augmenté de 43 %, c’est-à-dire de 120 000 $! Quatre employées de l’U d’O gagnent plus que Stephen Harper ; Allan Rock encaisse deux fois le salaire du président français, François Hollande.
La cerise sur le gâteau
Alors que les étudiants vivent des conditions de crève-faim, l’élite politique et universitaire se goinfre à volonté. Rousseau raconte l’histoire d’une princesse qui, après avoir entendu que les paysans n’avaient plus de pain, a répondu : « Qu’ils mangent de la brioche ». Après cette histoire de politiciens trop aisés et de bourgeois trop payés qui s’emparent de tout le gâteau, nous ne pouvons que réponde : « Qu’ils mangent de la marde ».