Crédit visuel : Sophie Désy — Photographe
Chronique rédigée par Ismail Bekkali — Journaliste
À l’ère des avancées technologiques exponentielles, l’intelligence artificielle (IA) s’impose comme un outil incontournable dans de nombreux domaines, y compris celui de la recherche d’emploi. C’est dans cette optique qu’un atelier a été organisé à l’occasion de la Semaine de carrière, pour aider les étudiant.e.s à optimiser leur parcours professionnel grâce à l’IA. Derrière cette promesse d’innovation se dessine cependant une réalité plus complexe, soulevant des interrogations quant à l’usage de ce nouvel outil, ainsi que son rôle dans l’insertion professionnelle des futur.e.s diplômé.e.s.
Comprendre l’IA comme un outil stratégique pour l’emploi
Invité par le Centre de carrière Telfer, l’hôte de cette conférence a voulu mettre en lumière le potentiel de l’IA, ainsi que son application concrète dans le processus de recherche d’emploi. Mais, avant de passer au volet pratique, Craig Marchand a présenté sa démarche dans un contexte où l’IA serait un élément indissociable du monde du travail. Nous serions, selon lui, à l’aube d’une « ère exponentielle », où l’évolution technologique redéfinit les standards de recrutement et les attentes des employeur.se.s.
Il a alors introduit l’objectif de cet atelier, celui d’aider les participant.e.s à comprendre comment ces changements influencent le monde, tout en leur fournissant les stratégies pour s’adapter à ces nouvelles réalités du travail. Vice-président à l’innovation à BDO Canada, il œuvre lui-même à favoriser « la collaboration humain-machine » dans son cabinet professionnel, et a invité son auditoire à tirer profit de cette association inédite.
« Vous êtes les témoins d’une des périodes les plus intéressantes de l’histoire », a affirmé Marchand en parlant du marché de l’emploi, qui lui aussi fait l’objet de transformations majeures. « Ce n’est pas l’IA qui pourrait voler votre emploi, mais quelqu’un qui l’utilise mieux que vous », a-t-il poursuivi. Dans la continuité de cette ère de changements perpétuels, Marchand a évoqué la nécessité de fonder sa propre « banque d’outils technologiques ».
En ce sens, l’IA serait un levier permettant d’améliorer et d’accélérer le processus de recherche d’emploi. Entre hyper personnalisation, automatisation, et optimisation, ses usages sont multiples, au choix du candidat.e. L’entrepreneur a fourni plusieurs exemples à ce sujet. Grâce aux algorithmes, l’identification des offres pertinentes aux préférences de chacun.e est accélérée, tandis que le CV et la lettre de motivation sont à leur tour modélisé.e.s pour se conformer aux attentes des recruteur.se.s. Ainsi, l’IA ne remplacerait pas les démarches traditionnelles ou les capacités humaines, mais les optimiserait.
Marchand a donc proposé une réflexion élargie sur la manière dont l’outil peut être intégré dans une stratégie de gestion de carrière, où l’optimisation du parcours professionnel passerait par une gestion proactive de son image et de sa productivité. L’accent était ici mis sur l’importance de développer de nouvelles habitudes de travail, et d’y intégrer l’IA pour renforcer son employabilité. À l’image d’une entreprise, le présentateur a finalement encouragé les auditeur.ice.s à percevoir leur carrière comme un projet à long terme, se devant d’être structuré et amélioré continuellement en prévision des nouveautés.
Une approche technologique sans considération éthique
À l’issue de l’atelier, l’hôte a pris le temps de répondre aux questions qui lui ont été posées. À ma surprise, aucune d’entre elles n’a soulevé les enjeux éthiques du discours que l’on venait d’écouter.
Quand bien même l’IA demeurerait neutre, son usage en revanche, ne l’est jamais. L’atelier s’est voué à démontrer ses bénéfices en matière de productivité et d’optimisation de la recherche d’emploi, mais sans jamais aborder les problématiques entourant son intégration dans le monde de l’entreprise. Or, en addition à ce choix stratégique que l’IA peut incarner, il m’a semblé essentiel de poser un regard plus nuancé : celui d’un univers professionnel de plus en plus dominé par la technologie, où le manque d’adaptabilité équivaut à être délaissé.
Marchand a insisté sur la nécessité de « prioriser l’action » dans le milieu du travail, tout en célébrant les avancées technologiques qui ont, d’après lui, transformé positivement nos sociétés. Il a convoqué des références historiques, évoqué des scientifiques qui se sont distingué.e.s grâce à leur usage d’outils nouveaux. À l’instar de la hausse en productivité qu’a permis l’industrialisation des sociétés, l’IA favoriserait l’automatisation d’autres aspects de la vie quotidienne, incluant mais ne se limitant pas à la recherche d’emploi. L’hôte l’aura lui-même rappelé, le choix d’utiliser ou non ces outils n’en est pas réellement un, c’est une norme implicite à laquelle il faut désormais se plier.
Loin de moi l’idée de rejeter totalement l’usage de l’IA tant elle représente un confort au quotidien. L’atelier présenté dans le cadre de la Semaine de carrière a sans doute mis en lumière son potentiel concret pour accompagner la recherche d’emploi. Mais, en filigrane, c’est un discours bien plus orienté qui s’est dessiné : celui d’une productivité continue insensée, à laquelle il est impossible de déroger.
J’ai beau ne pas y consentir, c’est une utilisation dont je suis à mon tour client. Je me conforme inévitablement à l’accélération de la société, et je peine à trouver les mots pour critiquer ce trait symptomatique de la modernité. Peut-être aurais-je dû moi aussi m’aider de l’IA pour rédiger une chronique qui a mis bien trop de temps à être publiée. Si l’IA est un moteur de transformation, il reste néanmoins essentiel de s’interroger sur le contexte humain où elle est appliquée.