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Arts et culture

Quand Hollywood s’approprie les livres : entre trahisons, coups de génie et crises existentielles littéraires

Crédit visuel : Athéna Akylis Jetté-Ottavi — Cheffe du pupitre Arts et culture

Chronique rédigée par Athéna Akylis Jetté-Ottavi — Cheffe du pupitre Arts et culture

Chaque fois qu’un studio hollywoodien annonce l’adaptation d’un roman culte, un frisson traverse l’échine des amateur.ice.s de littérature. Un mélange de curiosité, de panique, et de « bon Dieu, s’ils touchent à cette scène, je crie ». Pour les lecteur.ice.s dévoué.e.s, c’est un peu comme apprendre que leur grand-mère a vendu le vieux grimoire familial à Netflix. Pour les producteur.ice.s, c’est juste un mardi.

Et pourtant, adapter des œuvres littéraires, ce n’est pas nouveau. C’est une tradition aussi vieille que les parchemins. Déjà à l’époque des mythes antiques, les histoires voyageaient de bouche en bouche, se réécrivaient au gré des interprètes et des époques. Ulysse est passé de héros tragique à gars qui galère à rentrer chez lui pendant 20 ans — un peu comme toi quand tu essaies de sortir du pavillon Fauteux sans croiser un.e prof, un.e ex, ou un.e militant.e qui veut te faire signer une pétition contre l’avortement.

Le cinéma : ce cousin qui veut « mettre à jour » ton roman préféré

D’un point de vue artistique, l’adaptation, c’est une forme de traduction. Une transposition d’un langage narratif (les mots) vers un autre (les images, les sons, la musique dramatique quand le personnage découvre une vérité choquante). 

Certain.e.s réalisateur.ice.s sont devenu.e.s maîtres de cet art. Prenons L’Étrange histoire de Benjamin Button. À l’origine, une nouvelle très courte de F. Scott Fitzgerald. Plutôt absurde, un brin satirique. David Fincher, lui, en fait un drame poignant, une fresque sur le temps, l’amour et la mortalité. L’histoire n’a presque plus rien à voir… et pourtant, elle fonctionne. Même les lecteur.ice.s les plus sourcilleux.ses ont du mal à nier la beauté du résultat.

Autre cas intéressant : Alice au pays des merveilles, version Tim Burton. Est-ce fidèle au texte de Lewis Carroll ? Absolument pas. On est à des kilomètres de l’univers absurde et de la logique interne du roman original. Mais visuellement, c’est un délire cohérent avec la vision burtonienne. Une adaptation ? Non. Une réinterprétation psychédélique sous LSD visuel ? Totalement. Et pour certain.e.s fans, ça passe, justement parce que c’est assumé, audacieux, et porté par une esthétique forte.

Quand la créativité dérape : Blanche-Neige et le miroir de la discorde

Mais attention : toute liberté prise avec une œuvre littéraire n’est pas automatiquement un acte de génie. Il y a des limites à ne pas franchir — et récemment, Blanche-Neige version 2025 a sprinté au-delà de toutes les barrières.

Le film, avant même sa sortie, a été englouti sous une avalanche de critiques. Pourquoi ? Parce qu’il a tenté de « moderniser » l’histoire à grands coups de réécriture totale : exit les nains, bonjour le gang de marginaux hipster mal castés ; adieu la candeur du conte, place à un discours féministe mal dosé et maladroit. Le tout, porté par une actrice principale qui, dans plusieurs interviews, avoue publiquement ne pas avoir vu l’œuvre d’origine et semble détester l’histoire qu’elle incarne. Résultat ? Le public n’a pas crié au scandale, il a juste crié.

Fidélité versus liberté : dilemme cornélien ou débat de fandom ?

La fidélité à l’œuvre originale, ce n’est pas seulement une affaire de respect pour l’auteur.ice ou les fans. C’est aussi une question d’équilibre. Quand on adapte un livre, on ne fait pas un copier-coller, non. Mais il y a des éléments clés – ton, personnages, thèmes, âme – qu’il vaut mieux ne pas jeter par-dessus bord en mode « je suis un artiste, je fais ce que je veux », telle Lauren Schmidt Hissrich, qui a adapté The Witcher sans lire les livres ou jouer aux jeux.

La série, qui a pourtant été fondée sur les nouvelles d’Andrzej Sapkowski, a dévié si loin du matériel original que l’acteur principal lui-même, Henry Cavill, immense fan des livres, a claqué la porte. Quand Superman quitte ton projet parce t’as trop changé les dialogues, c’est peut-être le moment de se remettre en question.

Prenons aussi l’exemple de Harry Potter. Les films n’ont pas tout gardé (RIP Peeves), mais l’essence est restée intacte. Les choix de coupe étaient généralement justifiés par la contrainte du format. En revanche, Percy Jackson version 2010 ? Une telle trahison que même l’auteur, Rick Riordan, a refusé de regarder le film. Il a même dit, littéralement : « C’est comme regarder ses enfants se faire torturer ».

Alors on fait quoi ? On s’en tient au texte comme des scribes fidèles, ou on explose tout avec style ?

La vérité, disons-le, rarement confortable, est que la créativité en adaptation ne devrait pas être une excuse pour faire n’importe quoi. Oui, il faut oser, sublimer, parfois même réinventer. Mais tout est une question de dosage et… d’exécution.

Une adaptation peut être différente, même très différente, si elle touche quelque chose d’universel. Si elle propose une vision plus forte, plus poignante, plus cinématographique que le texte ne le permettait, alors ce doit être authentique. Mais ça, ça ne s’improvise pas. C’est un art.

Alors oui, je crois qu’on peut changer, modifier, condenser, inventer autour d’une œuvre existante. Mais seulement si la créativité employée dépasse, surpasse, transcende ce qui était là au départ. Comme Benjamin Button. Comme Le Seigneur des Anneaux. Comme Shining, même si Stephen King envoie encore des regards noirs à Stanley Kubrick, victime depuis l’au-delà.

Parce qu’au fond, une adaptation réussie, c’est comme une fanfiction de luxe : ça marche si ça respecte le cœur du récit. Et si ça le trahit… que ce soit avec génie.

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