Chronique
Par: Gabrielle Lemire
En 1818, Mary Shelley publiait Frankenstein, le Prométhée moderne, un roman d’horreur gothique dystopique inhabituel pour une femme de l’époque. Le monstre de Shelley est un écho à Prométhée, un titan grec qui est le plus souvent associé à la science, mais surtout à la notion de progrès sous toutes ses formes. Et ce progrès si chéri par la société occidentale n’est pas possible sans l’apport des femmes.
Par contre, il semble y avoir eu un éclipse empêchant certaines femmes artiste de sortir de l’ombre. Grâce à une vision post-colonialiste de l’art, qui regroupe les approches féministes, on déterre le nom de ces femmes talentueuses, auxquelles les historiens n’ont pas rendu justice. Sans cette approche, ce sont tout autant de Vigée LeBrun, d’Angelica Kauffmann et d’Emily Carr qui auraient été balayées des livres d’histoire et qui n’y trouveraient pas leur place en 2018.
En 1989, l’historienne d’art Linda Nochlin pose une question-phare pour les femmes du domaine artistique : « Pourquoi n’y a-t-il pas eu de grandes artistes femmes ? ». Évidemment, ce n’était ni par manque de génie créatif, d’intelligence ni de talent, mais plutôt à cause de la discrimination.
Hiérarchie des Beaux-Arts
Le système de l’Académie des Beaux-Arts a été dévastateur pour les femmes artistes après la Renaissance. Elles n’ont jamais manqué de génie artistique, contrairement à ce que croient les historiens respectant ce système hiérarchique. Puisque les femmes n’avaient pas accès aux modèles nus afin d’apprendre les techniques appropriées, et qu’elles n’ont pas eu accès à des sujets de peinture extérieurs à leur maison familiale, celles-ci n’ont pas pu s’épanouir autant que leurs homologues masculins. C’est donc l’accès à un mode de vie plus libre mais surtout à une éducation équivalente qui ont fait défaut aux femmes artistes.
Aujourd’hui, l’accès à une éducation équivalente au niveau des filles et des garçons à l’échelle mondiale bat toujours de l’aile : en 2017, mondialement, 130 millions de filles n’avaient aucun accès à l’éducation primaire et secondaire. Sans vouloir trivialiser l’accès à l’éducation de base à l’échelle mondiale, l’accès à une éducation plus spécialisée revêt une importance afin de créer des modèles accessibles dans des domaines plus pointus.
Modèles accessibles
C’est un fait : avoir des modèles accessibles permet une plus grande confiance chez les jeunes de la relève. Selon des études menées dans le secteur des technologies, le manque de modèles visibles serait justement un facteur de la sous-représentation des femmes dans le domaine.
Or, diffuser le message de nombreux modèles féminins accessibles vers les femmes et les jeunes filles est l’un des mandats premiers de nombreux organismes féministes. Au Canada, ce dont l’on bénéficie aujourd’hui provient de la pression que ces organismes exercent sur le gouvernement pour faire entendre la voix de la moitié de la population. Aujourd’hui, nous récoltons, que ce soit sous forme de droit de vote ou d’une représentation équitable dans les livres d’histoire, ce que ces femmes activistes ont semé. En règle générale au pays, ces organismes formés de femmes militantes ont accès à presque 4 fois moins de financement que les autres organismes communautaires et culturels, composés d’hommes et de femmes. Tout ça veut dire qu’encore une fois, les femmes ont moins accès à des modèles accessibles véhiculés par des organismes féminins dont l’accès au financement gouvernemental est aussi limité.
Cette tendance d’iniquité au niveau de l’accès à n’importe quelle ressource selon le genre doit être abolie, et ce à l’échelle nationale et mondiale. C’est le progrès incarné par le Prométhée de Shelley, comme toutes ces Joy Kogawa, Shaneen Robinson-Desjarlais et Maya Basudde, qui nous remercierons.