
Programme de reconnaissance des employés : Des étoiles dorées pour un travail bien fait !
– Charlotte Côté –
En novembre 2015, l’Université d’Ottawa (U d’O) a lancé à l’interne sa toute dernière innovation pour le bien-être de son personnel administratif : le Programme de reconnaissance des employés. Célébrée par certains, houspillée par la plupart, l’initiative fait plus réagir qu’elle ne produit de réels résultats. Retour sur la mise en place difficile d’un projet contesté.
L’hiver dernier, deux employés des ressources humaines sont entrés dans le bureau de Maurice Lévesque, directeur de l’École d’études sociologiques et anthropologiques, pour annoncer l’inauguration de leur tout nouveau programme. « Ça m’a été présenté comme un grand évènement », se souvient le directeur.
25 PAGES POUR RÉAPPRENDRE LA GESTION
Des autocollants aux couleurs de l’arc-en-ciel, une liste de 101 bonnes idées pour mieux apprécier le travail quotidien de leurs employés, voilà entre autres ce qu’ont reçus quelque 500 gestionnaires de l’U d’O dans la trousse de la Reconnaissance flambant neuve qui leur a été distribuée.
Un questionnaire visant à dresser un « profil de reconnaissance » des subalternes est aussi proposé aux gestionnaires. Ce dernier demande aux employés pourquoi et de quelle manière ils désirent être reconnus; quelles sont leurs fleurs préférées; les restaurants et salons de coiffure qu’ils fréquentent; les objets qu’ils collectionnent, etc.
« Le but est ultimement d’assurer l’excellence de l’expérience étudiante à l’U d’O », assure Sophie Ménard, responsable du projet et directrice associée au leadership, apprentissage et développement organisationnel. Selon elle, cette qualité de la vie universitaire passe avant tout par le bien-être des employés.
Jean Loubert, conseiller principal aux communications des ressources humaines, a travaillé sur la conception du programme. Il explique que les outils proposés ne sont qu’un point de départ, et que plusieurs autres évènements sont prévus en 2016 : « Ce que vous retrouvez dans la trousse ne sont que des suggestions pour atteindre une variété de publics cibles. »
UN PROGRAMME « INFANTILISANT »?
À la vue des post-its étoilés, des feuilles d’autocollants « bravo! », « bon travail », « excellent » et des cartes colorées à motifs, un mot est venu en tête de la majorité des gestionnaires rencontrés : infantilisant.
« Mes employés ont trouvé cela insultant », raconte Maurice Lévesque, directeur de l’École d’études sociologiques et anthropologiques. « C’est du matériel utilisé en maternelle et au primaire. » Et c’est bien le problème pour Dominique Côté, directeur du département d’études anciennes et de sciences des religions : « C’est aberrant. On nous propose ici de distribuer des autocollants ‘bon travail’ à du personnel administratif extrêmement compétent. »
C’est la liste des 101 bonnes idées qui a le plus indigné M. Côté : « J’étais incrédule. J’ai cru que c’était une blague. On me propose entre autres de laver la voiture de mes employés sur l’heure du midi et de leur offrir des paquets de Lifesavers. »
La Rotonde a contacté la majorité des directeurs.rices des différents départements, écoles et unités. Plusieurs ont mentionné ne jamais avoir reçu la trousse, d’autres ont préféré ne pas commenter. Certains gestionnaires auraient même jeté leur trousse à la poubelle, selon M. Côté. Mais en général, et pour l’instant, impossible de trouver un gestionnaire qui compte mettre en place le programme de reconnaissance.
QUEL PROBLÈME ORIGINEL?
« Si [le programme] a été élaboré, c’est qu’il doit y avoir un problème concret qui a été identifié », souligne Kouky Fianu, directrice du Département d’histoire, avant d’ajouter : « Si on n’a pas identifié de problème concret, le programme est une perte de temps, de ressources et d’énergie ».
Lauchlan Munro, directeur de l’École de développement international et mondialisation, renchérit : « S’il y a un souci, ce n’est pas une trousse qui va changer les comportements. Il faudrait chercher à s’occuper de cela au niveau structurel. » Selon lui, le programme tel que décrit dans le guide est « superficiel, naïf et insultant ».
Du côté des Ressources humaines cependant, M. Loubert affirme que le programme n’est pas une réaction à un problème de mauvaise gestion, mais plutôt une « invitation aux gestionnaires pour pratiquer la reconnaissance ».
Pourtant, la réalité est la suivante : la majorité des gestionnaires ont déjà des pratiques de reconnaissance, note Pierre Thibault, doyen adjoint et secrétaire à la Section de droit civil : « Dans notre département, il y a déjà un bel esprit de convivialité. »
Celui-ci ajoute d’ailleurs que le programme est davantage approprié pour les facultés et les services aux effectifs plus grands dans lesquels les gestionnaires sont de passage et où le personnel se connait moins bien.
Pour M. Lévesque, la véritable reconnaissance est atteinte par de bonnes relations interpersonnelles et un climat de travail agréable. « La reconnaissance, c’est d’abord un processus de respect, un engagement. On ne retrouve rien de cela dans le guide. »
- Côté et Fianu, tous deux de la Faculté des arts, pensent plutôt qu’une meilleure reconnaissance du personnel administratif passerait par de meilleures conditions salariales. En effet, celles-ci ont été récemment revues à la baisse par l’U d’O afin de créer de nouveaux emplois.
Certains gestionnaires s’interrogent d’ailleurs sur un élément nullement mentionné dans le guide : dans quelle mesure, et avec quels fonds, cette reconnaissance prendrait-elle place? « Ces petites dépenses seraient faites aux frais des gestionnaires », admet Sophie Ménard. Elle explique en effet qu’il est difficile d’allouer du budget pour des cadeaux.
DÉPENSE « INUTILE » EN PÉRIODE DE DÉFICIT
Dominique Côté remet en question l’utilisation de fonds importants pour « créer un programme d’une telle ampleur pour quelque chose qui va de soi ». Ce qu’acquiesce M. Munro : « C’est scandaleux, c’est un vrai gaspillage de ressources. Il serait pertinent de savoir combien a couté l’élaboration d’un tel programme. »
Il est à noter que début janvier, les employés de l’U d’O ont reçu un mémo du recteur leur annonçant un déficit budgétaire plus important que prévu [voir pp. 4 et 5]. « J’aurais pris le mot du recteur plus au sérieux si je n’avais pas reçu cette trousse les jours suivants », raille M. Munro.
L’U d’O dépense 38 millions de dollars par année pour des consultants extérieurs alors qu’« on pourrait utiliser, dans certains cas, l’expertise que nous avons ici, à l’Université », souligne Maurice Lévesque. Pour ce projet, pourtant, l’U d’O aura encore une fois fait appel à de la consultation externe.
Impossible, cependant, d’en connaitre le prix. Durant son entrevue avec La Rotonde, Mme Ménard a remis en cause la pertinence pour la communauté universitaire de savoir le montant accordé aux consultants externes pour la conception du programme. Elle a après coup avoué ne pas le connaitre. Selon elle, de toute façon, « ce qui compte, c’est l’intention » et les seuls en mesure d’évaluer le programme devraient être ceux qui l’ont lancé.
MALAISE : ENTRE TABARET ET LE RESTE
Y aurait-il eu un problème de communication et un manque de consultation des gestionnaires dans l’élaboration du programme par les Ressources humaines? « Notre consultante a rencontré quelques personnes », assure la directrice du programme. Pourtant, si Isaac Nahon-Serfaty, directeur du Département de communication, reconnait les intentions louables à l’origine du programme, il note un « manque de communication et de clarté évident ».
De leur côté, Mme Ménard et M. Loubert s’engagent à écouter, consulter et recueillir les commentaires des gestionnaires pour la suite des évènements. « C’est génial de savoir que la reconnaissance est déjà pratiquée; on s’en doutait d’ailleurs », s’enthousiasme Mme Ménard.
Et s’ils n’ont pas voulu dévoiler le prix de la consultation, ils précisent tout de même que « si les gestionnaires veulent parler et s’asseoir avec nous comme on vient de le faire, ça va nous faire plaisir. Nous sommes très ouverts et très transparents. »
Il semble que le programme d’excellence est loin d’avoir atteint son objectif pour le moment. Car pour certains comme M. Lévesque, au-delà des bonnes intentions, « le programme découle de modalités, au mieux inutiles, au pire allant à l’encontre de l’objectif premier ».