Par Didier Pilon
« La citoyenneté, c’est le droit d’avoir des droits. » Si Don Chapman peut prononcer ces mots avec autant d’autorité, c’est qu’il a lui-même vécu les détriments de l’apatridie. Depuis avoir reçu sa citoyenneté, il milite pour d’autres – tel que Donovan McGlaughlin et Qia Gunster – qui vivent une situation similaire.
Le commencement d’un mouvement
« J’avais 6 ans lorsque j’ai perdu ma citoyenneté », déplore Chapman. « Selon la loi, les femmes étaient la propriété de leur mari. Les enfants nés dans les liens du mariage appartenaient au père; les enfants nés hors mariage appartenaient à la mère. Alors, lorsque mon père a déménagé aux États-Unis, le gouvernement canadien a déchiré ma citoyenneté. »
Ayant vécu toute sa vie au Canada, Chapman a été horrifié d’apprendre qu’il n’était plus citoyen. Pour récupérer sa citoyenneté, il a dû postuler en tant qu’immigrant.
« Le gouvernement m’a dit que je ne méritais pas la citoyenneté », confie-t-il. « Je n’avais pas assez de points. C’est là que j’ai commencé à brasser les choses! Les médias se sont mêlés à l’histoire, les politiciens ont réagi et, tout d’un coup, comme par magie, j’avais assez de points. »
Pour bien d’autres, ce dénouement aurait marqué la fin de l’histoire. Mais Chapman ne pouvait tourner le dos aux milliers de gens vivant la même situation. « Je me suis demandé quelle sorte de Canadien je serais si je disais : ‘J’ai eu la mienne. C’est bon. Je rentre chez moi.’ » C’est alors que Chapman est entré en contact avec d’autres apatrides au Canada et a lancé le mouvement Lost Canadian.
Le cas de Donovan McGlaughlin
« Mon père est un Autochtone des États-Unis et ma mère est une citoyenne canadienne », raconte Donovan McGlaughlin, ex-apatride. « Lorsqu’elle est tombée enceinte, le Bureau of Indian Affairs a menacé de m’enlever. Ils se sont donc exilés au Canada et je suis né juste à l’extérieur de Guelph, on ne sait pas exactement où. […] En 1954, le gouvernent canadien prenait encore les jeunes Indiens pour les mettre dans des écoles résidentielles, alors mes parents ne m’ont pas enregistré. »
Vivre au Canada sans citoyenneté n’a pas été chose facile pour McGlaughlin. « Sans numéro d’assurance sociale, j’ai dû travailler en dessous de la table. Je n’avais pas le droit d’avoir une maison ou de me marier. Mais je n’avais pas besoin de grand-chose. »
Toutefois, sa situation est devenue difficile lorsqu’il a fait un infarctus en 2010. « Je n’avais pas d’assurance maladie et le gouvernement m’a demandé de rembourser 25 000 $ en frais. À 61 ans, j’étais en train de mourir d’insuffisance cardiaque, mais je ne pouvais pas me permettre les médicaments à 17 $ le comprimé. »
McGlaughlin a vu un brin d’espoir lorsqu’il a rencontré Chapman, qui a su susciter l’attention des médias. Un article de Kevin Drews du Canadian Press a attiré l’attention de Michelle Quigg, avocate d’Access Pro Bono. Experte en immigration, elle a réclamé la citoyenneté de McGlaughlin sur des bases juridiques humanitaires.
« Si j’ai pu avoir ma citoyenneté, c’est grâce à la compassion. »
Qia Gunster, citoyen de nulle part
Qia Gunster est né à Tuscon en Arizona, mais a vécu au Canada depuis qu’il n’a que deux ans. « Ma mère n’était pas riche et elle avait peur que l’État me confisque », avoue le jeune homme de 20 ans. « Donc elle ne m’a pas enregistré. »
C’est sous une couverture que Gunster a traversé la frontière canadienne. « Ma mère avait rencontré un homme qui avait de la famille au Canada et qui pourrait aider à m’élever. Mais tout n’a pas fonctionné comme prévu et elle a dû me confier à une famille canadienne qui a pris soin de moi. »
Puisque Gunster n’était pas enregistré, sa nouvelle famille n’a pas pu l’adopter. Alors que toutes demandes d’enregistrement différé ont été refusées en cause de manque de documentation, le jeune enfant s’est faufilé entre les craques.
Maintenant adulte, Gunster vit toujours en situation d’apatridie. « C’est vraiment difficile. Je ne reçois aucun service : je ne peux pas avoir de carte de crédit, recevoir un permis de conduire ou même une carte de bibliothèque. J’ai eu la chance d’aller à l’école, mais je ne peux pas travailler légalement. Mais, tu sais, je ne vais pas mourir de faim non plus. »
Toutefois, il demeure optimiste face à ses chances de recevoir la citoyenneté : « Une fois que je suis officiellement un citoyen, la première chose que je vais faire c’est obtenir un permis de conduire et une carte s’assurance maladie. »