Par Molly de Barros – Secrétaire de rédaction
Le cannabis est la drogue la plus consommée dans le monde, selon un rapport de 2016 de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC). Après sa légalisation au Canada en octobre 2018, de nombreuses inquiétudes ont été soulevées quant aux conséquences de la drogue, devenue bien plus accessible, sur la santé publique canadienne. La Rotonde s’est entretenue avec des experts pour mieux comprendre l’effet de cette substance sur le cerveau, à court et à long terme.
Le cannabis, provenant de la plante éponyme, est une drogue psychotrope – agissant sur le système nerveux – et dont les substances actives principales sont le tétrahydrocannabinol (THC) et le cannabinidiol (CBD). Ces derniers ont la même formule brute (C21H30O2) mais une organisation spatiale différente : ce sont des isomères.
Interaction du cannabis avec les récepteurs cérébraux
La similitude du THC et du CBD aux cannabinoïdes endogènes produits par l’organisme, comme l’anandamide, leur permet d’interagir avec les récepteurs cannabinoïdes présynaptiques du cerveau.
Dr Xia Zhang, professeur agrégé en psychiatrie et médecine cellulaire et moléculaire de l’Université d’Ottawa (U d’O), explique que l’activation de CB1, un récepteur cannabinoïde, par des petites doses de THC entraîne l’inhibition de la libération de neurotransmetteurs, tels que le glutamate. L’activité neuronale est ainsi ralentie, ce qui peut expliquer pourquoi le cannabis est parfois utilisé comme analgésique. « On ne sait pas exactement comment le CBD interagit avec ce système, mais il n’agit pas vraiment sur les récepteurs cannabinoïdes », soutient-il. Le CBD semble au contraire interférer avec la liaison de THC et CB1, réduisant ainsi ses effets psychoactifs.
Selon Dr Andra Smith, professeure agrégée en neuroscience à l’U d’O, les récepteurs cannabinoïdes sont répandus à travers le cerveau, ce qui explique leur impact sur de nombreuses fonctions cérébrales. « Le THC exogène du cannabis inonde le système à des concentrations bien plus élevées que celles des cannabinoïdes endogènes, […] ce qui empêche le système endogène de fonctionner comme il le devrait, et impacte de nombreux comportements régulés par celui-ci », indique-t-elle. Dr Zhang rejoint cette dernière sur l’importance du système cannabinoïde dans l’organisme, et le potentiel d’interférence qu’ont les cannabinoïdes externes.
Utilisation médicinale du cannabis
La marijuana est communément utilisée afin de réduire l’anxiété et la douleur, malgré l’absence de données de recherche confirmant son efficacité dans ce domaine. Dr Zhang soutient que cela est possible « grâce à l’inhibition de la libération de neurotransmetteurs, et le ralentissement conséquent des réseaux nerveux ». Cependant, selon Dr Smith, « il n’y a en réalité que trois domaines où il y a suffisamment de résultats de recherche démontrant un impact significatif du cannabis [dans le domaine de la santé], sur la nausée et les vomissements chez les patients en chimiothérapie, la spasticité chez les patients atteints de sclérose en plaques, et l’augmentation de l’appétit des patients atteints du VIH ». La spécialiste réitère qu’il n’y pas de preuves solides, autres qu’anecdotiques, quant à son efficacité dans les autres aspects de son utilisation à des fins médicinales et insiste sur le fait que seul le CBD a la capacité d’avoir des effets médicinaux, pas le THC.
Impact sur le développement cérébral
Le cerveau humain continue à se développer jusqu’à l’âge de 25 à 30 ans, selon Dr Smith. Elle explique que le cerveau d’un adolescent passe par deux phases majeures de développement : l’élagage synaptique et la myélinisation. Ces derniers contribuent entre autres au développement du cortex préfrontal, responsable des fonctions supérieures telles que le contrôle des impulsions, la prise de bonnes décisions, etc.
« Plus le cannabis est introduit tôt [dans la vie de l’adolescent], plus les conséquences seront graves ; le système endogène cannabinoïde, qui participe à ce développement, verra ses fonctions perturbées », continue-t-elle, ce qui aura d’importants impacts négatifs sur les fonctions exécutives du cerveau.
Effets sur la mémoire
L’impact du cannabis dépend grandement de l’âge du consommateur. Selon Smith, une personne plus âgée aura moins de récepteurs cannabinoïdes ; les effets de la substance chez une jeune personne est ainsi très différent de ceux sur une personne plus âgée.
Certains jeunes consommateurs de cannabis ont d’ailleurs pu observer le phénomène de perte de mémoire associé à la consommation de cannabis. « Je ne me souvenais pas avoir raconté à mon amie que j’avais eu une bonne note [la veille] », relate une étudiante de l’Université d’Ottawa, consommatrice occasionnelle de cannabis.
Zhang a découvert l’implication des astrocytes, les cellules les plus abondantes du système nerveux central, dans le maintien de la mémoire. « Le cannabis n’affecte pas les neurones négativement, sinon les astrocytes. » Selon lui, « les récepteurs CB1 sont reliés à la mémoire de travail et réussir à les contrôler à l’aide de la marijuana en évitant les effets négatifs sur les astrocytes permettra de traiter des maladies telles que l’Alzheimer, les douleurs, etc. » « Une étude en 2005 a identifié que des cannabinoïdes pourraient avoir le potentiel de traiter l’Alzheimer », ajoute-t-il.
« L’utilisation du cannabis chez les patients atteints d’Alzheimer pourrait être reliée au CBD, pas au THC », précise Dr Smith.
Cannabis et santé mentale
Andra Smith explique que le cannabis pourrait avoir des impacts négatifs sur la santé mentale, en particulier selon la force du THC et son ratio par rapport au CBD. « Des niveaux élevés de THC peuvent certainement être reliés à une augmentation de l’incidence de problèmes de santé mentale chez les personnes prédisposées […], et augmenter les risques d’anxiété, de dépression, de psychose, etc. »
Selon Dr Zhang, « par nature, le cannabis n’est pas vraiment une substance addictive ». Il indique que « le taux d’addiction [au cannabis] de 9% est bien plus bas que celui à la nicotine de 32% ou à l’alcool de 15% ».
Dr Smith s’oppose à ces propos, en expliquant qu’« il est très possible de devenir dépendant au cannabis. […] Entre 25 et 30% des enfants consommant du cannabis de façon régulière – quotidiennement – y deviendront dépendants ».
« Je pense qu’il y aura absolument une augmentation dans l’incidence des troubles de santé mentale, qu’on verra peut-être dans 5 ans […]. Je ne pense pas que le système de santé [canadien] soit prêt pour ça », confie Dr Smith.
Pour la spécialiste, la légalisation du cannabis a été motivée par l’argent. « L’argument utilisé est que [la légalisation] permette de retirer le cannabis des mains du marché noir, et je ne pense pas que ça va se produire. […] Ça permettra de réduire l’impact sur le système criminel, mais au détriment du développement cérébral des jeunes, qui penseront que c’est okay d’en consommer vu que c’est légal », confie-t-elle.
La légalisation de la consommation de marijuana est positive, selon Zhang. « Si les gens peuvent consommer de la nicotine et de l’alcool, pourquoi pas du cannabis ? » Il est d’avis que la consommation se normalisera, et diminuera dans quelques temps.
Comme on le dit, « l’excès en tout est un défaut ». Les effets à long terme du cannabis restent jusqu’à présent relativement méconnus, et la précaution est de mise. Comme le rappelle Santé Publique Ottawa, ne consommez le cannabis que de manière légale et responsable.