Crédit visuel : Noémie Calderon Tremblay
Par Noémie Calderon Tremblay – Journaliste
En plein confinement, naïve et isolée, je croyais encore que le monde redeviendrait comme avant lorsque la barrière du confinement serait levée. Je me disais que la distanciation sociale allait être suffisante ; ça et le masque dans les transports en commun. J’étais loin de me douter que le monde d’avant avait disparu et que sa date de réapparition était incertaine ou inexistante. Du moins, une partie de moi refusait de le croire.
Qu’elle n’a pas été ma surprise quand j’ai vu lors d’une promenade, des serveur.euse.s équipé.e.s de masque et de visière sous le soleil brûlant d’une canicule !
Ne plus voir comme avant
Durant une rencontre Zoom avec les professeur.e.s de mon programme de théâtre, j’ai appris que dans notre programme, nous allions devoir porter des visières à la session d’automne. Des visières, imaginez-vous ! Je dois dire que j’ai eu un peu peur à l’annonce de cette consigne.
Après le choc, je me suis dit que c’est vraiment mieux que rien, non ?!
Je me suis ensuite demandé : qu’est-ce que ça change à notre conception du monde ces vitres et ces tissus qui nous séparent des travailleur.euse.s du service à la clientèle et des usager.ère.s du transport en commun ?
Dans l’autobus, je me suis d’abord sentie comme le cliché d’une fashionista futuriste la première fois que j’ai mis un masque sur mon visage. J’ai aussi réalisé que c’était bien pratique pour chanter des paroles de chansons, se parler à soi-même et laisser le bon sourire conformiste dans une poubelle près de chez soi.
Il y a quelques jours, j’ai essayé le restaurant, avec des flèches et des serveur.euse.s masqué.e.s. J’ai bien vite remarqué que je n’avais pas vu qui me servais. Je n’avais que des souvenirs brouillés de celles et ceux qui m’avaient apporté les plats. Comme si leur identité s’était envolée.
Pareillement, pour les passant.e.s croisé.e.s dans la rue, la moitié d’entre eux sont des sans visage ; les promenades dans les rues semblent irrémédiablement plus froides qu’avant la pandémie.
Développer des signes
C’est étrange de porter un masque. Ça jette une couche de mystère sur les gens et ça me donne envie de savoir quel est le visage qui se trouve sous ce tissu. On doit communiquer avec les yeux et c’est, disons un peu plus compliqué et flou qu’avec la bouche.
Dans les rues, lorsque je me promène, je sens que le monde n’est plus comme avant. Il y a quelque chose d’irréel qui plane.
Sans oublier qu’avec le masque de tissu, ce n’est pas aisé de parler et de se faire entendre. On n’a donc pas le choix de développer d’autres formes de communication.
En psychologie, en arts ou encore en philosophie, on dit souvent que tou.te.s portent un masque. Un masque que la société et notre envie d’entrer dans la norme nous imposeraient de porter.
« C’est comme si tout à coup, bizarrement, les masques nous dévoilaient que nos visages étaient là, visibles, totalement offerts à l’autre… mais là est ma question : était-ce tout à fait le cas ? Étions-nous si visibles et lisibles que ça sans nos masques ? », se demande Géraldine Mosna-Savoye, chroniqueuse pour Le journal de la philo à France Culture.
On porte d’abord le masque pour éviter la propagation du virus, mais celui-ci semble avoir un autre « un autre mérite paradoxal : celui de nous révéler, par la dissimulation qu’il implique, l’état de nos rapports aux autres… mieux, il a le mérite de nous révéler ce qu’on en attend, l’état rêvé de ces rapports sociaux, leur état idéal, idéalisé en tout cas de ce qu’ils étaient ou devaient être », explique la chroniqueuse.
Dans le fond, le fait de porter le masque de tissu permettrait de retirer le masque psychologique ?!
Le masque vient nous rappeler que nous en portons tous un, pandémie ou pas. Bref, si l’on ne se dissimule pas sous un morceau d’étoffe, on va le faire sous un sourire ou un poker face.
Il en va de même pour la distanciation sociale, les timides et tou.te.s celles et ceux qui trouvent les contacts sociaux difficiles, peuvent maintenant se faufiler aisément pour éviter bise, embrassade ou poignées de main. Une bonne chose ou une mauvaise chose ?
C’est une question complexe, certes, mais une chose est sûre : ça ne doit pas faire grand mal de retirer ces gestes de notre quotidien pendant une certaine période. C’est une occasion d’observer comment on vit sans ces gestes de salutations physiques et d’analyser l’impact qu’ils ont sur notre vie.
Alors, le masque, bien qu’inconfortable et, espérons-le, temporaire, est un outil dont on doit profiter pour nous exprimer avec plus de transparence. Pleurons, grimaçons, rions, sourions comme des cons sous la fiction de nos masques !