
Parité à l’Université d’Ottawa : entre engagement affiché et réalité contrastée
Crédit visuel : Hidaya Tchassanti — Directrice artistique
Article rédigé par Ismail Bekkali — Journaliste
Dans le cadre de ses politiques et règlements, l’Université d’Ottawa (U d’O) déclare accorder une attention particulière aux groupes « sous-représentés » lorsqu’il s’agit du recrutement des professeur.e.s, incluant les femmes. Plusieurs initiatives ayant été mises en place sont mentionnées, mais en dépit de ces engagements, des interrogations quant à leur réalisation subsistent.
Un manque d’équité et de données
En entrevue avec La Rotonde, l’Association des professeur.e.s de l’Université d’Ottawa (APUO) aborde les défis structurels et institutionnels auxquels les femmes peuvent être confrontées au cours de leur carrière académique. Susan Spronk, présidente sortante, Jennifer Blair, agente de mobilisation, et Philippe Frowd, agent d’équité, dressent un portrait éclairé de la parité entre les genres parmi le corps professoral de l’Université.
Bien que les dernières données publiques à ce sujet datent de 2019, le constat qui y est fait laisse suggérer, selon les trois membres de l’APUO, « qu’il existe des écarts importants dans plusieurs facultés ». L’APUO souligne des inégalités complexes qui ne se limiteraient pas seulement à ces institutions, mais aussi à leur fonctionnement à la fois au niveau du nombre de personnes travaillant dans certaines disciplines et des salaires qui leurs sont accordés. L’Association nomme à ce sujet le domaine des STIM (sciences, technologies, ingénierie, mathématique), restant largement dominé par les hommes.
Compte tenu du manque d’informations actuelles, les membres de l’APUO remettent néanmoins en question la fiabilité de ces conclusions, qui demeurent à être vérifiées. Une opacité qui, selon eux, est en partie liée à la dépendance de l’Université à l’enquête d’auto-évaluation « Comptez-moi », dont les résultats resteraient incomplets en raison d’un refus de l’administration centrale de les dévoiler dans leur entièreté. L’APUO décrit des données partielles, « ne fournissant que des informations sur le nombre de personnes à embaucher pour atteindre des objectifs », empêchant de ce fait la constitution d’un diagnostic véritablement précis et représentatif.
Une culture masculine encore bien ancrée
En réponse à cette insuffisance, Maïka Sondarjee, professeure agrégée à l’École de développement international et mondialisation de l’U d’O, témoigne d’un point de vue plus personnel des principaux défis pouvant entraver les femmes dans leur carrière professorale. Elle relève la persistance de biais implicites et d’attentes genrées symptomatiques d’une culture de « boys club », où les réseaux informels et les dynamiques de pouvoir auraient tendance à désavantager les femmes dans leur parcours.
Sondarjee cite plusieurs cas concrets propres au milieu académique : selon elle, inconsciemment, la rédaction d’articles collaboratifs se fera majoritairement entre hommes, et les intellectuels masculins seront davantage invités « à la bière de fin de journée » ou à d’autres événements similaires. Pour intégrer ces cercles fermés, la professeure dénonce des standards de professionnalisme plus élevés pour les femmes, faisant en sorte que « pour enseigner par exemple, une femme devra s’habiller de manière professionnelle, mais pas trop provocative », tout en étant plus susceptible de recevoir des commentaires sur son apparence physique.
Au-delà de ces inégalités de genre, la professeure insiste sur l’importance d’intégrer une lecture intersectionnelle des discriminations. Elle rappelle les barrières supplémentaires s’ajoutant au parcours des femmes racisées, autochtones ou appartenant à d’autres groupes marginalisés. Sondarjee revendique ainsi l’adoption de politiques inclusives, ne se limitant pas à la perspective du genre. « Il y a de plus en plus de femmes à l’université, mais le problème relève aussi des autres communautés sous-représentées, que ce soit les personnes autochtones ou issues de l’immigration », développe Sondarjee.
Discours inclusifs et réalités budgétaires
C’est pour pallier ce type de biais que l’APUO souligne l’importance des réglementations de l’Université, dont notamment la politique 94 sur le recrutement proactif des professeures, qui aurait porté ses fruits, selon les représentant.e.s de l’Association.
Malgré cette mesure, le syndicat signale le manque de moyens, qui ultimement se heurte à la réalité des besoins présents. Les trois agent.e.s illustrent leurs propos en abordant les enjeux entourant les services de garde offerts par l’U d’O, et rappellent les répercussions de la fermeture prévue de la garderie Bernadette sur la conciliation travail-famille pour de nombreuses femmes universitaires. Ils rappellent qu’avec cette décision, l’U d’O s’apprête à devenir le seul établissement du groupe U15 des universités de recherche canadiennes à ne pas avoir de services de garde d’enfants sur son campus.
L’APUO déclare revendiquer davantage de places en garderie depuis plus de dix ans, sans jamais avoir reçu en retour une réponse concluante. En abordant la plus récente ronde de négociations collectives, le syndicat décrit une administration universitaire qui aurait « encore fait la sourde oreille face à l’une de leurs revendications historiques ».
C’est dans ce contexte de tensions que l’Association affirme la nécessité de l’avancement de l’équité. Qu’il s’agisse de sexisme ou d’autres formes d’invisibilisation, Sondarjee laisse suggérer que l’égalité formelle ne garantit en réalité ni l’égalité de traitement, ni celle d’opportunités.