– Par Yasmine Mehdi –
La vie d’étudiant.e, ou quand 24 heures ne semblent jamais suffire pour compléter tous les travaux, examens, dissertations et lectures obligatoires tout en gardant un semblant de vie saine. Si tous les étudiant.e.s vous avoueront probablement qu’ils ont du mal à concilier études, emploi à temps partiel et vie sociale, certains endossent toutefois un rôle additionnel : celui de parent. Université et porte-bébé peuvent-ils faire bon ménage? La Rotonde tente de répondre à cette question en faisant le point sur la situation des parents étudiants sur le campus.
Témoignages de parents débordés
Après avoir appelé les étudiant.e.s parents à partager leur témoignage, La Rotonde s’est entretenue avec Geneviève Latulippe, Roger Girard-Leavoy et Fannie Saint-Cyr, trois parents également étudiants à la Faculté de droit civil de l’Université d’Ottawa.
Bien que leur parcours soient différents, les trois sont de retour aux études et ont au moins deux enfants chacun. Comment parviennent-ils à gérer leur temps? « Il faut être discipliné. Chaque minute compte », déclare Geneviève. « Je ne dors pas beaucoup », explique pour sa part Roger en riant.
« J’ai très peu de vie sociale, moi qui en avais beaucoup. »
– Fannie Saint-Cyr, parente-étudiante en droit civil à l’Université d’Ottawa
Si les trois ont d’emblée déclaré qu’ils avaient la chance de pouvoir compter sur le soutien de leur famille et de leur Faculté, il n’en demeure pas moins que leur expérience en tant qu’étudiant.e diffère grandement de celle de leurs camarades de classe. Ainsi, Roger expliquera qu’il a souvent été contraint de rater des cours lorsque son enfant était malade, alors que Geneviève fera part de la difficulté de fixer des horaires pour réaliser ses travaux d’équipe.
Aux yeux de l’Université, « ils sont invisibles »
Combien d’étudiants partagent le quotidien de Geneviève, de Roger et de Fannie? Étonnamment, il se trouve que l’Université n’en a aucune idée, comme en atteste Isabelle M. Pulkinghorn, gestionnaire aux relations avec les médias.
« L’Université ne tient pas de registre du nombre d’étudiants parents. »
– Isabelle M. Pulkinghorn, gestionnaire aux relations avec les médias de l’Université d’Ottawa
Un constat que semble partager Manola Joazil, coordonnatrice au Centre de mentorat du Service d’appui au succès scolaire (SASS) destiné aux étudiants adultes, qui affirme que l’Université ne dispose d’aucune information concernant « la situation familiale des étudiants ».
Questionnée sur la pertinence de recueillir des données quant à ce phénomène, Joazil a répondu : « Ça nous aiderait certainement. On pourrait par exemple savoir si ces enfants sont en bas âge ou non, s’ils fréquentent la garderie Bernadette. Ça pourrait ouvrir de belles opportunités. »
Pour l’instant, Joazil et son équipe tentent de remédier au sentiment d’isolement que peuvent ressentir les parents étudiants en lançant un groupe d’étude et de soutien nommé « Étudiants-parents, vous comptez! » Ce dernier se réunira chaque mardi, de 10 h à 12 h, et permettra aux concernés de se retrouver autour d’une tasse de café.
Afin de tenter de mieux comprendre leur réalité, La Rotonde a également contacté Catherine Lee, professeure à l’École de psychologie spécialiste des questions parentales. La professeure a elle-même confié qu’elle avait dû amener son enfant sur le campus pendant de longs mois, à l’époque où les congés de maternité ne duraient que 16 semaines. « À l’époque, les femmes devaient choisir entre leur carrière et leur famille : je voulais avoir les deux […]. On s’est débrouillés, mais ça a été très difficile et très fatigant », a-t-elle expliqué.
En ce qui concerne la situation actuelle des parents étudiants sur le campus, Dr Lee s’est exclamée qu’ils étaient « invisibles » et a appelé l’Université à recueillir des données concernant leur nombre, mais surtout quant à leurs besoins : « Ce qui est important, c’est que les parents aient accès à l’information et à l’appui de ceux qui sont dans la même situation. Si on ne sait pas qui est parent, ça devient moins facile à faire. »
La garderie Bernadette et sa liste d’attente interminable
Pour tenter de répondre à un des nombreux besoins des étudiants parents se trouve, à quelques pas du pavillon Fauteux, la garderie Bernadette. Fondée en 1998, elle accueille aujourd’hui 49 enfants, dont les parents sont pour la plupart étudiants ou professeurs à l’U d’O.
Si cette garderie représente une bouffée d’air frais pour les parents qui y ont accès, Karen Brown, sa directrice, a tenu à rappeler que 800 enfants, dont plus de 350 issus de la communauté universitaire, étaient toujours sur la liste d’attente.
En effet, lorsque Roger a voulu inscrire son enfant, aujourd’hui âgé de deux ans et demi, dans cette garderie, on lui a expliqué qu’il devrait attendre au moins deux ans, un délai beaucoup trop important pour le papa qui a finalement opté pour une autre garderie.
« Nous aimerions vraiment accueillir plus d’enfants, mais le problème est que l’Université n’a tout simplement pas assez d’espace pour nous »
– Karen Brown, directrice de la garderie Bernadette
L’option FÉUO et ses lacunes
Si la garderie Bernadette offre de nombreux avantages pour les parents, il n’en demeure pas moins qu’elle ferme ses portes à 17 h 30, comme la plupart des garderies. Cet horaire peut ne pas convenir à plusieurs parents, notamment ceux inscrits à des cours du soir.
Pour pallier à ce problème, le Centre de ressources des femmes de Fédération étudiante de l’Université d’Ottawa (FÉUO) offre depuis l’an dernier un service de garde drop in gratuit en soirée. Cette année, les parents peuvent y déposer leur enfant les mercredis et jeudis entre 16 h et 19 h.
Morissa Ellis, vice-présidente aux affaires de l’équité de la FÉUO et ancienne employée du Centre, a expliqué que le Service ne recevait pas un nombre maximal d’enfants, mais estime qu’environ cinq enfants le fréquentaient hebdomadairement. Des bénévoles ainsi qu’une employée du Centre étaient responsables des petits qui pouvaient profiter de collations, de jouets et de films.
Karen Brown, directrice de la garderie Bernadette, est pour sa part sceptique quant à ce service et à la règlementation qui l’entoure : « Que se passe-t-il au niveau des assurances si un enfant se blesse? Vérifie-t-on le casier judiciaire des bénévoles? Ont-ils une formation de premiers soins? S’assurent-ils que les enfants n’ont pas d’allergies? »
Interrogée à ce sujet, Ellis a répondu que le Centre demandait « à la majorité des bénévoles, en faisant leur entrevue, s’ils avaient de l’expérience avec les enfants », sans toutefois faire mention d’une quelconque formation obligatoire. Rien pour rassurer Brown qui a rétorqué : « Souvent, on regarde les enfants et on se dit “Ce n’est que des enfants, à quel point ça peut être difficile de s’en occuper?”, mais ça nécessite un travail et une formation considérable. »
Pour Roger, étudiant et papa, le service offert par la FÉUO correspond tout à fait à ses besoins, lui qui a des cours de soir. Après avoir été informé des réserves de Brown, il s’est toutefois ravisé : « Honnêtement, je ne sais pas si je serai confortable avec l’idée de leur confier mon enfant s’ils n’ont pas de formation. »
Un campus loin d’être conçu pour les enfants
En février dernier, l’Association des étudiants diplômés (GSAÉD) ouvrait en grande pompe sa clinique d’allaitement, après trois longues années de négociation avec l’Université. Située au troisième étage du Centre universitaire, la salle offre notamment une table à langer, des chaises berçantes, des jouets et un four à micro-ondes.
Il semblerait cependant que, mis à part ce havre de paix, le campus reste un endroit assez hostile pour les parents étudiants. Alexandre Latus, agent des communications au Service des immeubles de l’U d’O, a confirmé l’existence de cinq tables à langer sur le campus, en comptant celle du centre d’allaitement de la GSAÉD, un nombre nettement insuffisant pour beaucoup. « Selon mon expérience, ce n’est pas un campus particulièrement accueillant pour les enfants », a déclaré Lee à ce sujet.
L’U d’O ne serait néanmoins pas la seule institution universitaire dans cette situation. Geneviève Ratelle, ancienne étudiante de l’U d’O maintenant à la maitrise à l’Université Saint-Paul explique qu’elle a rencontré des obstacles les quelques fois où elle a été contrainte d’emmener sa fille âgée de deux mois en cours.
« Je me sens gênée lorsqu’elle pleure en cours. Je suis sure que plusieurs se disent “Elle a choisi d’aller à l’école alors qu’elle a un enfant, elle a juste à se démerder” », a-t-elle confié. C’est sans compter l’absence de table à langer et la difficulté de se déplacer sur le campus avec une poussette, deux aspects qui compliquent également le traintrain quotidien de la maman.
Malgré tout, Geneviève se dit heureuse de pouvoir compter sur des professeurs très compréhensifs, bien qu’elle rappelle que tous les parents n’ont pas cette chance. Devant ces multiples obstacles, force est de constater que pour plusieurs, l’expérience étudiante se limite à une jongle perpétuelle entre biberon et révision. Une situation qui restera probablement difficile à améliorer tant que le nombre de parents étudiants demeurera indéterminé.