Par Gabrielle Lemire, cheffe du pupitre actualités
Penser. Quelle faculté incroyable quand on y réfléchit. Nous sommes de vraies machines à assimiler du savoir. Mais aussi à en produire. À moins d’avoir un esprit passoire comme ceux préférant ne pas savoir. Certains aiment mieux qu’on leur dise quoi penser.
À l’Université, on a la possibilité de se documenter. De toucher à autant d’ouvrages qu’on le désire, par autant d’auteurs. Comme autant de plats dans un buffet à volonté.
Qu’il figure à l’Annexe ou non, tout ce savoir confiné entre les millions de documents, entre les milliards de pages, et tout autant de marges où se côtoient notes griffonnées à l’encre et gouttes de sueur chargées d’angoisse intellectuelle… ce savoir nous appartient.
Oser se servir de son propre entendement
Se documenter, se ressourcer, apprendre, aller au fond des choses, voilà le véritable objectif d’un passage à l’Université. Sinon, l’institution reste une manufacture à diplômes, une usine de pâtes et papier transformant en validation sociale des milliers d’heures en laboratoire ou entre les rayons des archives. Une imprimerie géante qui témoignerait de manière indélébile des soirs à rester à écrire jusqu’à l’aube. Notre passage à l’université représente-t-il vraiment une volonté d’aller au fond des choses ? Un réel pas hors de la caverne ?
Est-ce la volonté de tous de pousser le concept de la vérité au maximum ? Sapere Aude comme diraient les philosophes des Lumières et les Horace de ce monde. (Non, ce n’est pas du latin pour « élitisme », mais bien pour « ose savoir »).
Pour être journaliste, il faut cette étincelle. Celle d’oser comprendre.
Ensuite, reste de traduire ses découvertes en mots en espérant qu’ils tombent dans l’oeil de quelque passant désireux de sortir de l’apathie collective du campus. La Rotonde est, tout comme l’université, une manufacture de papier (pas pour bien longtemps vu les décisions supposément progressistes de Ford).
Production production production ! Création création création ! Chaque semaine au 109 Osgoode, c’est le sprint à l’information, suivi d’un second sprint pour imprimer tout ce qui se bouscule dans nos crânes.
Crier à pleins poumons
Écrire, c’est beaucoup plus épuisant qu’on ne le croit. Écrire, c’est tenter de presser un citron humain dont toute la pulpe aurait déjà servi pour penser aux ingrédients de la limonade. Ok, ce n’est pas la meilleure analogie, mais reste qu’on commence la semaine la plume déjà éreintée et qu’on la termine complètement asséchée.
Écrire, c’est aussi un geste de rébellion. D’aller au-delà du commentaire râleur sur Facebook, au-delà de la note sur Amazon ou Uber Eats qui réduit notre rôle de citoyen à celui de consommateur. Rédiger son cheminement de pensée. Et en fâcher plus d’un au passage.
Pas besoin d’être Charlie Hebdo pour faire des mécontents. À plus petite échelle, mais tout de même des micro-rébellions. Et je suis fière de ces rébellions. Tout crayon acerbe ne se formalise pas de devoir prendre le temps d’affûter son plomb pour se jeter de plus belle dans la mêlée. Écrire, c’est un geste politique, dans un Ontario qui veut tuer à la racine la presse traditionnelle au profit des relations publiques. Écrire en français, en plus, c’est un acte de résistance. Une Résistance sans crieur public. Une résistance de la francophonie jusqu’à se la faire tatouer sur la fesse. Résister, dans ma langue, pas de manifeste. Juste mon geste. Juste ma plume qui court vers une censure potentielle, une mort annoncée. Manifester jusqu’au bout de la langue. Apprendre, écrire, créer. S’écrier.