Inscrire un terme

Retour
Sports et bien-être

Nina Kucheran : de Sudbury à la médecine francophone, un parcours singulier

Crédit visuel : Courtoisie

Entrevue réalisée par Jessica Malutama — Cheffe du pupitre Sports et bien-être 

Originaire de Sudbury et ancienne nageuse universitaire de renom, Nina Kucheran a rejoint à l’automne dernier la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa (U d’O). Dans cet entretien, elle revient avec La Rotonde sur ses racines franco-ontariennes et sur ce qui a motivé son retour au Canada après six ans en Floride. Elle partage aussi sa vision d’une médecine inclusive assurant un accès équitable aux soins de santé en français dans un contexte minoritaire.

La Rotonde (LR) : Tu pratiques la natation depuis toute petite et tu as battu de nombreux records lors de ta carrière au sein des Gators de l’Université de Floride. Tu t’es même presque qualifié pour l’équipe canadienne aux Jeux olympiques. Comment ton parcours de nageuse t’a-t-il préparé aux défis de la médecine et de la vie ?

Nina Kucheran (NK) : La natation m’a appris des leçons de vie très importantes. Dès un jeune âge, ça t’apprend à avoir une routine, à travailler pour un but, à garder un objectif en tête. Toute ma vie, je me levais à 5h du matin pour aller m’entraîner, parfois entre quatre et six heures par jour. 

Ça m’a vraiment aidée en entrant en médecine parce que c’est un domaine exigeant. Grâce aux habitudes que j’ai développées en natation, j’étais bien préparée pour les défis de la médecine. Les objectifs n’arrivent pas toujours au moment où on le souhaite, mais tant que tu continues à faire des pas dans la bonne direction, ils finissent par se réaliser.

La natation n’est pas un sport de gratification instantanée : pendant des années, tu travailles pendant des heures pour enlever des milli-secondes de ton temps. Comme en médecine, il faut travailler longtemps pour des améliorations minimes.

LR : Après des années passées aux États-Unis, pourquoi avoir choisi de revenir au Canada et d’étudier en français ? 

NK : J’ai grandi à Sudbury et étudié en français jusqu’au secondaire, mais après avoir vécu six ans en Floride, j’avais perdu un peu de mon aisance en français. Même mes conversations au téléphone avec ma grand-mère, qui est francophone du Nord de l’Ontario, devenaient plus difficiles. Je savais que je voulais revenir au Canada pour continuer mes études et cela faisait déjà six ans que j’étais loin de ma famille.

L’Université d’Ottawa offrait un volet francophone, et je me suis dit que, si je voulais vraiment améliorer mon français, il fallait que je me retrouve dans un contexte immersif où j’utiliserais la langue tous les jours. Pour moi, le volet francophone a vraiment été un élément clé pour me réapproprier la langue, surtout après six ans où je l’ai très peu parlé.

LR : En arrivant à l’U d’O, as-tu constaté des différences entre les étudiant.e.s francophones et anglophones en médecine ?

NK : Le programme n’est pas encore complètement égal entre les deux volets, avec un peu plus de ressources en anglais. Pour moi, comme je suis à l’aise dans les deux langues, ce n’est pas un problème. Mais je pense que c’est peut-être plus difficile pour les personnes dont le français est la première langue et qui ne sont pas aussi à l’aise en anglais.

C’est un vrai défi pour la Faculté. Il y a un manque de professeur.e.s francophones. Il y a également plus de publications et de médecins en anglais, donc c’est plus facile de trouver des ressources pour le volet anglophone. Ce n’est pas un reproche envers la Faculté, je pense que des efforts sont faits : par exemple, des étudiant.e.s dans le volet francophone organisent des ateliers pour encourager la formation médicale en français et je trouve ça vraiment motivant. Je pense qu’il y a juste un effort collectif à faire pour enrichir les ressources en français.

LR : Il existe un manque d’accès aux soins en français à Ottawa. Au moment de ton choix d’études, était-ce un enjeu pour toi ? Penses-tu que cela aura un impact sur ta future pratique médicale ?

NK : Je n’étais pas consciente de cette réalité parce que cela faisait six ans que j’habitais en Floride et je n’étais plus vraiment au courant de ce qui se passait au Canada. Mais maintenant, je comprends mieux les enjeux liés à la médecine en français. Pour un.e patient.e francophone, avoir un médecin qui parle français, ça peut vraiment apaiser. C’est une source d’anxiété en moins.

J’ai pu constater cela durant mes stages à l’hôpital Montfort. C’est devenu évident à quel point la langue peut jouer un rôle important dans la qualité des soins. Pouvoir être une médecin bilingue, c’est quelque chose qui va me permettre de mieux servir mes patient.e.s un jour, et aujourd’hui, je suis vraiment contente d’avoir choisi le volet francophone.

LR : Au-delà de tes accomplissements sportifs et académiques, de quoi es-tu la plus fière dans ton parcours ? 

NK : Ce dont je suis le plus fière, ce sont les personnes que j’ai eu la chance de rencontrer. Que ce soit à l’école, en médecine, des athlètes, des non-athlètes, francophones ou anglophones, j’ai croisé des gens formidables. J’ai grandi à Sudbury avec les mêmes ami.e.s pendant 18 ans, et je suis encore proche d’eux.elles aujourd’hui, mais les six dernières années m’ont permis de vivre des expériences incroyables et de m’ouvrir à d’autres réalités. Pour moi, c’est ça qui compte le plus : les liens humains, et l’impact qu’on peut avoir les un.e.s sur les autres.

Il y a une personne en particulier qui m’inspire profondément : mon ami Étienne Sirois que j’ai rencontré en médecine. On a fondé le uOttawa Med Run Club ensemble en septembre dernier, un club de course récréative pour les étudiant.e.s de la Faculté. On organise des sorties tous les vendredis soirs, et l’idée, c’est de bouger, de prendre soin de soi, et d’avoir un moment pour se détendre, parce qu’en médecine, il est facile de se laisser submerger par tout ce qu’on a à apprendre. C’était l’idée d’Étienne, et j’ai tout de suite dit oui parce que j’adore bouger et motiver les autres.

Cette personne m’a aussi beaucoup aidée à parler en français, à m’intégrer, et à bâtir une communauté en médecine. En janvier, il a vécu quelque chose de vraiment difficile : un abcès au cerveau, une opération, de la réhabilitation… Ça a été très dur. Mais ce qui m’a bouleversée, c’est de voir comment il a géré cette tragédie, comment il s’est remis à l’exercice et comment il a continué à travailler sur sa réhabilitation. Malgré tout, il a fait tout ce qu’il pouvait pour revenir à l’école et continuer ses études en médecine. C’est un exemple de persévérance qui m’inspire beaucoup.

Inscrivez-vous à La Rotonde gratuitement !

S'inscrire