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Arts et culture

Musique et centre culturel pour lutter contre le racisme

27 septembre 2020

Crédit visuel : Page Facebook Wise Atangana

Par Gaëlle Kanyeba – Cheffe du pupitre Arts et Culture

Le musicien et artiste canadien-camerounais Wise Atangana a lancé le projet de créer le premier centre culturel Afro-Noir de la région le 13 septembre dernier. Il profite de cette même occasion pour promouvoir la sortie de son nouvel album Justice for Peace, inspiré par le mouvement Black Lives Matter, et les manifestations antiracistes qui en ont découlé.

La Rotonde (LR) : D’où est venue l’idée de créer un centre culturel noir à Ottawa ?

Wise Atangana (WA) : Tout a commencé avec les protestations contre la violence policière sur la vie des noir.e.s partout dans le monde. Je voulais comprendre pourquoi le racisme était aussi présent dans notre société.

Donc dans un premier temps, j’ai voulu m’exprimer au travers d’un album. J’ai commencé à faire des recherches, créer des conversations en ligne avec toutes les communautés. J’ai compris que, quand tu es victime de racisme, tu te sens inférieur.e, et la personne raciste se sent supérieure. Pourtant c’est faux, les deux ont tort : à la base, nous sommes tous des êtres humains.

Après cette étape, j’ai compris qu’il fallait créer une plateforme continuelle qui pourrait aider à éduquer les jeunes. Je suis père de famille, et quand je regarde mes enfants, je sais que ce sont eux la prochaine génération. Comment vont-ils combattre ce fléau de manière durable ? Avec le centre, le but est d’enseigner aux nouvelles générations comment déconstruire les stéréotypes pour se sentir libre, et de créer des opportunités pour les artistes noir.e.s.

LR : Pensez- vous que les artistes noir.e.s ont moins d’opportunités que les autres ?

WA : Le racisme systémique a de l’impact dans tous les secteurs de la société.

Dans mon domaine, il n’y a pas énormément d’artistes à plein temps comme moi à Ottawa. Les jeunes noir.e.s ne savent pas vers qui se tourner, il n’y a pas de centre agréé leur permettant de se retrouver, de collaborer. Il n’y a pas un endroit où ces artistes peuvent rencontrer des mentor.e.s.

LR : Peut-on dire que l’idée derrière le centre est de servir de tremplin aux artistes noir.e.s ?

WA : Oui, mais aussi plus que ça. L’idée avec le centre culturel, c’est d’apprendre aux jeunes à déconstruire les stéréotypes en utilisant l’art, la culture et la technologie.

LR : Comment utilise-t-on concrètement l’art, la culture et la technologie pour faire cela ?

WA : La meilleure réponse à cette question selon moi, c’est le film Black Panther.

Il est nécessaire de comprendre que le racisme a été construit au profit des maîtres esclavagistes, qui répandaient des fausses doctrines de supériorité afin de justifier leurs actions. Black Panther vient éduquer les téléspectateur.trice.s en offrant une perception différente de la majorité des films hollywoodiens, où les noir.e.s sont le plus souvent des bandits , ou des brigand.e.s.

Avec ce film, les gens ont pu comprendre que l’histoire de l’Afrique n’a pas commencé avec la colonisation ou l’esclavage, et que parler une langue occidentale avec un accent, ce n’est pas grave.

Voilà un exemple de comment l’art, la culture et la technologie peuvent changer les mentalités.

LR : Quand on entend centre culturel « noir », on peut avoir le sentiment qu’il est fermé aux autres communautés. Est-ce le cas ?

WA : Malheureusement, j’ai vu des gens présenter les choses comme cela. Certain.e.s m’ont interpellé, en me disant que faire passer les choses comme cela faisait de moi un raciste.

Mais la réalité est que le Canada est un pays multiculturel et que chacun.e essaye de tirer sa communauté vers le haut. Il existe des communautés indiennes qui sont très influentes, des communautés chinoises qui sont aussi très fortes, des communautés françaises et bien d’autres.

Pourquoi, alors, quand on dit « communauté noire », certain.e.s ont le sentiment qu’on va créer une ségrégation ? Au contraire, on veut inviter les autres communautés à découvrir notre univers. Il y aura des activités, des percussions, des lectures, des spectacles et des danses. Ce n’est pas la ségrégation, mais il s’agit plutôt d’une nouvelle opportunité.

LR : Au sein même de ladite communauté noire, il existe déjà des organismes qui les encadrent. Pourquoi en créer un autre ?

WA : Justement, nous sommes une communauté assez dispersée. Il existe des Caribéens qui ont déjà un centre, les Béninois aussi […]. Mais l’idée avec Afro Black Culture Center, c’est de rassembler toutes les communautés noires.

De plus, nous, les artistes, sommes éparpillé.e.s dans différentes organisations francophones, anglophones ou encore immigrantes. On n’a rien à nous, mais on veut quelque chose qui nous rassemble, qui fait notre fierté et qui milite pour nos droits et notre dignité.

LR : Vous avez-été appuyé par le conseiller Rawlson King et la conseillère McKenney. Était-ce nécessaire pour rendre votre projet crédible ?

WA : Non pas que ça ait été nécessaire, mais Rawlson King est le seul conseiller noir à Ottawa, en plus d’être agent de liaison du conseil pour les initiatives de relations ethno-culturelles et de lutte contre le racisme. Il a réalisé que nous avons pris une initiative qui aurait dû venir de lui.

Ensuite, le centre culturel sera au centre-ville, il donc était important d’avoir l’appui de la conseillère Mckenney qui représente Somerset.

LR : Comment ce projet sera-t-il financé ?

WA : On organise un grand spectacle le 14 novembre, notre objectif étant de collecter 100.000 dollars.

On a sorti 1000 disques de l’album Justice for Peace, et chaque disque sera vendu avec une place de spectacle, le tout pour une valeur de 100 dollars. C’est une occasion pour nous d’innover et non de courir après différents financements.

LR : Est-ce une société à but non lucratif ?

WA : Non justement, il s’agit d’une entreprise sociale. Il n’y a aucune ambiguïté là-dessus, nous voulons garder le contrôle sur notre initiative.

LR : Ne profitez-vous pas de cet engouement autour des questions racistes et ethniques pour vendre votre musique ? Car le moment semble particulièrement bien choisi pour un nouvel album sous cette thématique.

WA : Chacun.e est libre de penser ce qu’il ou elle veut. Il est important de savoir que produire un album est un véritable investissement, et celui-ci m’a couté environ 20.000 dollars. Puisque je fais déjà de l’activisme [en militant pour la francophonie], je profite pour créer quelque chose qui aidera les autres et qui m’aidera aussi moi-même.

J’ai entendu des gens parler également de timing, mais je ne peux me rabaisser à cela, car ceux qui critiquent ne contribueront même pas. La majorité des gens trouve que c’est une bonne idée, ça m’est amplement suffisant.

LR : Quand est prévue l’ouverture ?

WA : Nous avons déjà un espace physique, mais nous sommes conscient.e.s qu’avec la crise sanitaire, ça risque d’être délicat. Nous allons d’abord installer nos bureaux dans les prochaines semaines, et nous travaillons sur la création d’un site internet où les gens pourront communiquer avec nous.

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