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Musée canadien des civilisations : La collaboration avec l’ACPP critiquée

9 Décembre 2013

 

 

 

 

 

 

 

– Par Sara Ghalia –

Dans son communiqué de presse du 25 novembre, le Musée canadien des civilisations a annoncé un nouveau partenariat avec l’Association canadienne des producteurs pétroliers (ACPP), incluant une commandite d’un million de dollars répartie sur cinq ans.

Jean-Pierre Couture, professeur à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa, fait remarquer « […] qu’il y a une sorte de parasitage très généralisé quand il vient temps de financer la culture ou les institutions publiques à vocation culturelle, que ce soit dans le domaine du théâtre ou de la danse, les festivals, les chaînes culturelles ». D’après lui, le partenariat entre l’ACPP et le Musée des civilisations suit une idée de plus en plus fréquente ; plusieurs compagnies privées, comme l’ACPP, décident de financer des institutions culturelles auxquelles elles sont totalement étrangères et « cherchent à nous rappeler que sans les fonds privés, l’art et la culture ne pourraient pas exister ».

Plusieurs raisons expliquent cette « collaboration » entre des institutions qui, en règle générale, ont peu de choses en commun. La commandite est insérée « dans leur  » bilan social « , ou dans la partie caritative de leurs activités publiques ». Souvent, la commandite devient une sorte de charité de la part des entreprises privées, qui s’en servent pour améliorer leur image auprès d’un public divisé. M. Couture déplore que « ce n’est vraiment pas la justice sociale ou la juste redistribution […] du fardeau fiscal ».

Pourtant, c’est bien souvent le message que des institutions comme l’ACPP vont envoyer aux citoyens, dans l’espoir de changer le consensus négatif à leur égard. Il s’agit alors d’une importante « campagne d’opinions publiques pour nous vendre la nécessité des sables bitumineux et de tout ce qu’ils en retournent », affirme le professeur des sciences politiques.

La « pétro-démocratie »

Le partenariat entre le Musée des civilisations et l’ACPP va donc au-delà d’un simple financement. Il vise différentes catégories de citoyens, dépendamment de leur avis quant aux conséquences des sables bitumineux et à l’importance du pétrole dans l’économie mondiale actuelle. C’est ce qu’explique M. Couture. « Ce qu’on cherche à faire, c’est neutraliser et châtier les citoyens qui sont très opposés. […] Donc les radicaux, il faut vraiment les tasser, si on veut, du débat public », estime-t-il. Il ajoute que le partenariat avec le Musée sera utile pour la campagne de l’image, celle qui essaye de « conforter la catégorie de citoyens qu’on pourrait appeler les réalistes, c’est-à-dire ceux qui croient que la croissance économique est absolument nécessaire et doit être exponentielle ». Pour ceux qui ne sont ni radicaux, ni réalistes, l’ACPP cherche à vendre un message très clair : qu’il est tout à fait possible d’allier production pétrolière et développement responsable, avec le respect des communautés locales et des communautés autochtones et de l’environnement.

Cependant, il est difficile de reconnaître la fiabilité d’un tel message, lorsqu’on observe les conséquences des sables bitumineux. Selon Équiterre et l’Institut Pembina, la région de Fort McMurray, en Alberta, connaît plusieurs impacts environnementaux désastreux à cause de la production pétrolière. Plusieurs groupes continuent de manifester contre les sables bitumineux, dont Écologie Ottawa, qui est opposé au partenariat entre l’ACPP et le Musée des civilisations. Le 6 décembre dernier, ils ont contesté la décision en installant un bonhomme de neige avec une pancarte affichant « L’ACPP pollue la neige » (en anglais).

M. Couture ajoute aussi que « la plupart des opposants, quand ils sont poussés à occuper des rues, à occuper des sites de production, sont arrêtés, bâillonnés et incarcérés ». Les entreprises pétrolières vont jusqu’à la censure d’ouvrages critiquant l’industrie, et peuvent devenir très agressives lorsqu’il s’agit de défendre leur image et « nous vendre la nécessité du pétrole et d’un régime que je pourrais appeler […] une pétro-démocratie. »

Règle de l’autocensure

Sur la question de la transparence, le Musée a assuré qu’il n’y aurait aucun contrôle de la programmation de la part de l’ACPP. « Ceci dit, il n’y a pas si longtemps, une compagnie d’énergie fossile est intervenue dans l’une des récentes expositions qui a eu lieu à Ottawa sur le pétrole et ils ont demandé à ce que des photos soient retirées », rappelle M. Couture. Il précise que les entreprises privées n’exercent plus un contrôle direct, mais qu’un autre mécanisme plus complexe est en place. Les administrateurs du Musée, tout comme les chercheurs qu’ils gèrent, savent quelles sont les limites à ne pas dépasser.

« Parce que voyez-vous, l’administrateur en chef du Musée des civilisations a dit que l’aide apportée par l’association des producteurs de pétrole […] est vitale. Alors lorsqu’on reçoit un cadeau vital, c’est évident que nous sommes dans un rapport de tutelle par rapport à ceux qui nous offrent ce cadeau. »

Par conséquence, les chercheurs du Musée vont avoir tendance à faire ce qu’on appelle de l’autocensure. M. Couture ajoute que « lorsqu’il y a de l’autocensure, on dit que personne n’a été censuré, mais lorsqu’on sait soi-même des choses à ne pas dire, ça revient à une sorte de censure. »

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