
Mobilisation autochtone : Pow-wow et conférence sur la décolonisation
– Par Sinda Garziz et Caroline Ramirez –
La présence des nations autochtones s’est fait ressentir la semaine dernière, dans le cadre de deux évènements marquants qui s’inscrivaient dans la lutte pour la décolonisation du campus.
Samedi dernier, le 7 septembre, une voix forte a résonné sur les colonnes du pavillon Tabaret. Le chef Gilbert Whiteduck, de la première nation Kitigan Zibi Anishinabeg, a accueilli le premier pow-wow étudiant à l’Université d’Ottawa (U d’O) par un discours appelant à la fraternité entre les peuples : « Je vous salue, je vous accueille avec honneur et un profond respect. Nous ne sommes pas meilleurs, nous ne sommes pas pires que vous, nous faisons partie du même cercle, le cercle de toutes les nations. »
L’allocution du chef Whiteduck a été précédée par celle de la Pr. Claudette Commanda, issue de la même communauté, qui a lancé l’évènement avec une prière en omamiwinini anishinabemowin – la lanque algonquine – et a tenu a affirmé son opinion à propos du lieu sur lequel l’U d’O est bâtie : un territoire qui n’a jamais été cédé par la nation algonquine. Pr. Commanda a également donné sa bénédiction aux participants qui, s’ils le désiraient, pouvaient prendre part à un smudge, une cérémonie de purification utilisant les quatre plantes sacrées que sont le tabac, le foin d’odeur, le cèdre et la sauge.
C’est par ces deux discours des leaders algonquins que le premier pow-wow annuel des étudiants de l’U d’O a été inauguré. Organisé par l’Association des étudiants en études autochtones et canadiennes (AÉÉAC) et par l’Association des étudiants autochtones (AÉA), et avec l’appui des deux principaux syndicats des étudiants diplômés et non-diplômés, le pow-wow a consisté en un rassemblement de diverses nations autochtones.
Au centre du grand cercle formé par les chaises disposées sur la pelouse du pavillon Tabaret, deux groupes musicaux traditionnels, les O:nen Ri:ki:io (« Interprètes des chansons ancestrales ») et les O-town Boyz, se relayaient pour entonner des chansons issues respectivement de la culture des nations haudenosaunees (iroquoises) et anishinabes (algonquines). Le chanteur principal des O-Town Boyz, Brad Picody, a exprimé sa joie de participer à cet évènement : « J’aime chanter pour les peuples, c’est mon don […] de chanter pour vous, vous rendre heureux, vous faire danser. » David Jock, dont le nom iroquois est Wenhniserii:o (« Celui qui amène les beaux jours »), leader du groupe O:nen Ri:ki:io, s’est par ailleurs enthousiasmé devant les efforts accomplis par les organisateurs et par les participants : « Je suis époustouflé par les étudiants et le travail qu’ils ont fourni ici. Ça nous donne du courage à tous. »
Les leaders étudiants sont, pour leur part, revenus sur l’importance symbolique du pow- wow. Zorga Qaunaq, coordinatrice centrale de l’AÉÉAC, a exprimé sa conviction « que ce pow-wow sera un autre pas vers l’établissement d’une relation solide, faite de responsabilités et de respect entre le mouvement étudiant de l’U d’O et la première nation Kitigan Zibi Anishinabeg ». Nicole Desnoyers, étudiante métisse portant le nom traditionnel de Femme-loup et vice-présidente aux affaires de l’équité de la Fédération étudiante de l’Université d’Ottawa (FÉUO), a également partagé son enthousiasme quant au déroulement du pow-wow, pour lequel elle était une des organisatrices : « Cet évènement est absolument essentiel. Tout en étant quelque chose d’amusant, d’interactif et qui implique les étudiants qui ne sont pas nécessairement conscients de l’histoire coloniale du Canada et de la Ville d’Ottawa […], ce pow-wow donne également l’occasion aux étudiants autochtones de pouvoir vraiment vivre leur culture, ici, à l’U d’O. »
Mistawasis, le maître de cérémonie, a supervisé le déroulement de la journée avec humour et dynamisme. Les étudiants ont ainsi pu assister à un spectacle de chansons inuites de Charlotte Qamaniq et de Kendra Tagoona, à des gigues métisses par Ginny Ganneau et Brad Lafortune, à des danses participatives des Premières nations et à une distribution de cadeaux (give-away traditionnel) par l’AÉÉAC et l’AÉA. Cette distribution, selon Kiera Brant, représentante de l’AÉA, avait pour but d’honorer certains membres de la communauté universitaire s’étant investis dans l’amélioration de la vie des étudiants autochtones sur le campus et dans la lutte pour la décolonisation. Ont été remerciés, entre autres, le doyen et le vice-doyen de la Faculté des arts, les professeurs Claudette Commanda, Marcelo Saavedra-Vargas, et Georges Sioui, et les représentants de la FÉUO et de l’Association des étudiants diplômés (GSAÉD).
Sous leur caractère joyeux et festif, les différents évènements de la journée ne cherchaient pas moins à sensibiliser les étudiants à une cause essentielle et militante : la décolonisation du campus. Pour la Pr. Commanda, la décolonisation consiste en une reconnaissance des nations autochtones et de leurs territoires par l’instauration de relations respectueuses entre ces nations et le Canada. La déconstruction des « mythologies coloniales » est, selon elle, essentielle pour mener à bien ce processus. Le pow-wow constitue ainsi, en soi, un acte de décolonisation puisqu’il permet aux nations autochtones de revendiquer un espace au sein du campus qui leur est propre.
En compagnie de Jocelyn Formsma et de Kristen Gilchrist, la Pr. Commanda a d’ailleurs tenu mardi dernier, le 3 septembre, une conférence intitulée « Décolonisation 101 : En- tamer le dialogue », organisée par le Centre de développement durable de la FÉUO. Elles y ont insisté sur l’importance de la participation des non-autochtones dans le processus de décolonisation et sur la nécessité de connaître la véritable histoire de la conquête de l’« Île de la Tortue » (nom autochtone pour l’Amérique du Nord). « Vous êtes tous signataires d’un traité en tant qu’habitants du Canada, que votre famille soit arrivée il y a plusieurs siècles ou que vous veniez d’atterrir », a affirmé la Pr. Commanda, précisant qu’il était de notre responsabilité à tous, au quotidien, d’assurer la cohabitation respectueuse entre autochtones et non-autochtones. Pour elle, la décolonisation du milieu universitaire consiste ainsi à remettre en question les orthodoxies eurocentriste et à créer des espaces de pensée intellectuelle afin « que ceux qui ont été réduits au silence soient aujourd’hui entendus ».