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Arts et culture

Mignonnes : le film qui remet en question notre société

10 octobre 2020

Crédit visuel : Netflix

Par Gaëlle Kanyeba – Cheffe du pupitre Arts et Culture

Dans son premier long métrage Mignonnes, Maïmouna Doucouré met l’accent sur la vulnérabilité des préadolescent.e.s face aux diktats de l’hypersexualisation de la femme moderne. Une tempête médiatique et judiciaire s’est créée autour du film, critiques qui relèvent selon moi d’une certaine hypocrisie.

Avec la popularité du hashtag #boycottcuties sur Twitter qui appelle au boycott du film, et l’interdiction de sa diffusion dans de multiples pays c’était plus fort que moi : je devais absolument regarder ce film, et me faire mon propre avis.

Interdit en Turquie pour entrave à l’Islam, et poursuivit pour pornographie juvénile au Texas, le film relate l’histoire d’Aminata, ou Amy, une jeune française de onze ans d’origine sénégalaise. Victime d’une situation familiale très complexe, elle est tiraillée entre tradition sénégalaise et société occidentale. Dans l’espoir de s’émanciper, la jeune fille intègre alors un groupe de danseuses baptisé « Mignonnes », avec qui elle fera face à la violence des réseaux sociaux.

Réalité chez les adolescent.e.s

Si ses opposant.e.s crient à l’encouragement de la pédophilie, je pense que ces adultes sont en décalage avec la réalité des adolescent.e.s aujourd’hui. Au début du film, Amy est une jeune fille timide, mais elle comprend très vite qu’exposer son corps est un moyen efficace d’être acceptée et de devenir populaire.

Elle troque donc ses pulls en laine et larges pantalons en jean, contre des débardeurs et minijupes, qui mettent  en valeur ses formes. Ses copines et elle sont ainsi convaincues qu’en affichant des poses subjectives, et des danses sensuelles, elles maximiseront leur chance de remporter le concours de danse en étant populaires sur les réseaux sociaux.

Ce rapport complexe au virtuel est pour moi une situation dans laquelle tout le monde a pu se retrouver. Il y a deux ans par exemple, j’ai dû clôturer les comptes Instagram de mes deux cousines de onze et douze ans, car j’étais scandalisée par leurs publications. Elles partageaient des clichés sur lesquelles elles ressemblaient plus à des adolescentes de seize et dix-sept ans qu’à des fillettes prépubères ; je ne les reconnaissais simplement plus !

Une autre fois, une autre cousine de quinze ans m’a confié que sa copine du même âge était en couple avec un homme de vint-sept ans. J’étais choquée par ces douze ans de différence, ce à quoi ma cousine a simplement répondu que c’était « comme Kylie Jenner et Tyga, leur écart d’âge n’a pas empêché Kylie de lancer sa marque de cosmétiques. » Très sincèrement je ne savais pas quoi répondre à cet argument. Il n’y a même pas dix ans de différence entre nous, je devrais normalement comprendre sa logique et ses références.

Rôle des influenceur.se.s

Aujourd’hui, les préados grandissent avec leurs idoles, qui sont pour la plupart des influenceur.se.s sur les réseaux sociaux ; le problème du modèle et repère se pose alors. Se développe ensuite un phénomène de mimétisme comportemental, où les jeunes imitent faits et gestes de leurs figures de références.

Avec leur train de vie et leur réussite, ces modèles les persuadent qu’il existe une sorte d’accords implicites dans l’univers du web, s’appliquant surtout chez les femmes, qui dit que « plus tu te dénudes, plus tu es belle, car tu as des J’aimes ». Et c’est un constat très clairement discuté dans le film ; Amy ira jusqu’à publier un nude, une photo de ses parties intimes, pour avoir de J’aimes.

Alors la question se pose : comment faire comprendre à une jeune fille de onze ans qu’elle ne devrait pas s’afficher en twerkant si Miley Cyrus et Cardi B font passer cette danse pour l’expression ultime de l’indépendance de la femme du 21e siècle ?

Erreur Marketing

Il est indéniable que Netflix a choisi la mauvaise stratégie pour promouvoir le film en Amérique du Nord. En diffusant un vidéoclip où l’on voit des filles avec des corps de pré-adolescentes en tenues courtes, pratiquant une danse sensuelle et lascive, il y avait de quoi choquer le grand public.

Mais la plateforme a depuis présenté ses excuses, et je pense que l’on peut leur accorder le bénéfice du doute. Celles et ceux qui veulent boycotter le film ont juste trop peur d’accepter qu’il s’agit du reflet du monde d’aujourd’hui.

Même combat

À ce stade je suis convaincue que si le but des ultra-conservateur.trice.s texan.e.s est de protéger leurs enfants, ils et elles partagent le combat de Maïmouna Doucouré, qui traite des dangers auxquels les jeunes sont confrontés.e.s. Justement, n’est-ce pas là le but ultime de l’art ? S’attaquer aux sujets tabous de la société afin d’éveiller les consciences, et de faire changer les choses ?

Je ne suis pas entrain de minimiser la gravité de la pédophilie ou de l’exploitation d’enfants. Ce que j’essaie juste de dire, c’est que tout ce bourdonnement autour du film nous empêche de nous plonger dans une vraie réflexion collective sur l’état de notre société moderne.

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