À la suite de l’article Devenir comédien, mode d’emploi, publié dans l’édition du 10 mars, La Rotonde se penche cette semaine sur les différences entre le théâtre anglophone et francophone au Canada hors Québec.
Avec seulement une quinzaine de théâtres francophones recensés par le Centre national des Arts, contre une centaine anglophones, le Canada hors Québec semble être pauvre en opportunités pour les professionnels du théâtre et pour le public francophone en général. Avec 15 compagnies à Montréal, huit à Québec, 11 en régions, les voisins québécois sont bien plus choyés. Évidemment, tout est relatif au nombre de francophones vivant dans la région. Être en milieu minoritaire façonne-t-il alors le théâtre francophone? C’est la question que La Rotonde a posée à Jean Stéphane Roy, professeur au Département de théâtre de l’Université d’Ottawa et directeur artistique au Théâtre la Catapulte.
« La création est importante, parce qu’on est en milieu minoritaire, il faut se créer une identité. À la Catapulte, on vient de terminer un cycle de cinq ans de développement public », explique M. Roy. Le Théâtre la Catapulte, fondé en 1992, offre plusieurs productions par an au grand public et aux adolescents. En 2009, le Théâtre la Catapulte et le Théâtre français de Toronto ont mis en place un projet artistique de cinq ans afin de présenter plusieurs coproductions au public ontarien. « Ça remplit des salles, c’est la preuve qu’il y a un manque profond. Les gens ont besoin de voir du répertoire. […] Pourquoi va-t-on encore voir du Molière? Parce que oui, c’est drôle, oui c’est encore pertinent. Mais pourquoi est-ce encore pertinent? C’est que l’humain ne change pas et c’est ça qu’on a besoin de réaliser », ajoute-t-il.
Mais au-delà du répertoire, qui permet à l’acteur de peaufiner sa technique de jeu, le public francophone minoritaire est plus exigeant envers les quelques compagnies présentes dans son milieu, à Ottawa par exemple. « Mettons Montréal, il y a beaucoup de monde, beaucoup de compagnies, donc chaque compagnie peut se spécialiser en quelque chose. Puis, ils n’ont pas le choix, parce qu’il y en a trop. Donc il y a des courants, il y a plein d’influences. Tandis qu’ici, il y a moins d’influences, ce qui fait que moi, comme parti pris, c’est de réaliser qu’en tant que minorité, il faut offrir le plus de diversité possible, pour inspirer les jeunes. Si je leur joue juste un genre, [ils vont se dire] « je vais m’en aller ailleurs, ça ne m’intéresse pas ». Tandis que s’ils voient un modèle de réussite quelconque, [ils vont se dire] « ah, je peux le faire chez nous ». [Il faut] éviter l’exode de nos talents. Plus il y aura d’artistes, plus on va en faire, plus il y aura de publics », déclare M. Roy.
Cet exode a lieu soit vers le Québec, soit au théâtre anglais, tous deux offrant plus d’options aux acteurs. Pourtant, le théâtre anglophone est bien différent du francophone, et ce, à plusieurs égards, que ce soit la production ou le public lui-même. « En français, un spectateur regarde. Un anglophone écoute », fait remarquer M. Roy. Il explique que si l’esthétisme est plus important en français, c’est le texte qui l’emporte pour les anglophones « à cause de la structure de la langue. Le français, les gens se coupent. À cause de la structure, je sais comment tu vas finir ta phrase. En anglais, on ne sait jamais avant la fin ce que la phrase veut dire », soutient le professeur.
Jouer en anglais demande alors un réapprentissage pour l’acteur francophone. Lorsque La Rotonde lui demande s’il pensait à faire du théâtre en anglais, Xavier Lord-Giroux, candidat à la maîtrise en pratique théâtre à l’Université d’Ottawa, répond qu’il se considère comme un « rebelle » et qu’il préfère vivre entièrement du théâtre francophone. Ces « rebelles », le Canada français en a besoin pour garder un théâtre vivant, qui poussera d’autres jeunes vers les différents métiers du domaine.
D’ailleurs, la reconstruction de La Nouvelle Scène, qui abrite quatre compagnies théâtrales francophones d’Ottawa, a débuté en novembre 2013. Le nouvel édifice ouvrira ses portes l’hiver prochain et permettra de présenter plus de productions originales au public ottavien.