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Mais qu'est-ce que l'appropriation culturelle?

5 Décembre 2015

Yoga : appropriation culturelle ou appréciation. Dans les vestiges d’un débat international sur l’appropriation culturelle, une chose est claire : pas tout le monde ne maitrise le concept. La source de la confusion semble être les diverses comportements que rassemble le terme qui, tout en préservant une certaine ressemblance, diffère considérablement les uns des autres.

Plutôt que d’empiler encore une autre opinion sur la question du yoga, il est d’abord nécessaire de définir quelques-unes des différentes formes d’appropriation et d’identifier leurs aspects problématiques.

La caricature

La forme la plus discriminatoire d’appropriation culturelle est la caricature. En empruntant certains symboles, le caricaturiste crée une image péjorative d’un groupe marginalisé, réduisant la complexité d’un héritage à quelques stéréotypes haineux. Il se moquer afin de réaffirmer son infériorité.

L’exemple classique au Canada est les costumes d’Autochtones. Des vêtements en peau de chamois, un collier en perles de verre, une coiffure de plumes, etc. Les mascottes ne sont pas exclues de cette catégorie non plus. Mais, il n’y a pas si longtemps, le costume de choix était plutôt le blackface.

Ces costumes sont conçus de manière à perpétuer un rapport colonial de dominance. Ce n’est pas seulement une culture majoritaire qui se diverti au détriment d’une culture minoritaire. Au contraire, c’est une manière de soutenir la suprématie de culture dominante en définissant une l’autre comme inférieur.

Les blackface étaient, dans les meilleurs des cas, des abrutis maladroits. Dans le pire des cas, ils étaient des sous-hommes animalesque et violent. Les caricatures d’Autochtones jouent toujours sur la notion de sauvages (nobles ou mauvais), primitifs et barbares. Dans un contexte social où les femmes autochtones sont victimes d’un taux ahurissant de violence sexuelle, les costumes de « Pokehotties » ne viennent que renforcer l’objectification de ces femmes.

L’objectif de la caricature est simple : perpétuer des images et des attitudes racistes afin de maintenir un rapport colonial de dominance.

La commercialisation

Une nouvelle a explosé la semaine dernière : la marque de haute couture londonienne Kokon To Zai (KTZ) vendait alors un chandail au style des Inuits. La tenue vestimentaire en question copie à la lettre les motifs spirituels d’Avva, un shaman d’Iqaliut, et se vendait pour plus de mille dollars.

Dans cette situation, KTZ n’utilisait pas les symboles d’une culture colonisée pour se moquer d’elle. Dans leurs témoignages aux médias, la société a mis l’accent sur la « beauté, la vérité et le pouvoir » de la culture inuit. Mais alors que la caricature carbure au racisme, la commercialisation de cultures marginalisée est motivée par l’impératif du profit. Elle utilise ainsi le statut privilégié de la culture dominante dans les structures du marché pour tirer profit de l’héritage d’un peuple marginalisé.

Cette forme d’interaction tire ses origines de l’appropriation matérielle. Ceux qui ont visité le British Museum, par exemple, ont eu la chance de voir des œuvres d’art de mille et une cultures, dérobées de temples et de pyramides par des forces impériales des grands colonisateurs occidentaux.

KTZ n’a certes pas volé la tenue matérielle d’Avva, mais il s’est emparé de sa propriété intellectuelle : sa conception, ses symboles, son esthétique. C’est donc de l’appropriation dans sa forme la plus littérale : prendre indument quelque chose pour en faire sa propriété.

La banalisation

Le contexte social contemporain est marqué par d’innombrables possibilités d’échange culturel.  Toutefois, appréciation et compréhension vont de pair.

La banalisation d’un héritage culturel complexe est une forme latente – mais tout aussi importante – d’appropriation. Les pratiques culturelles ont une importance et une signification profonde en fonction de la valeur qu’on leur accorde et l’interprétation qu’on en fait. Elle appuie une identité partagée qui régi une communauté ou un peuple.

Il n’y a certes pas de mal à apprendre les coutumes d’une autre culture et à tenter de comprendre leur sens. Mais sans révérence pour leurs significations symboliques, ces pratiques importantes sont dépouillées de leur valeur. Plutôt que les respecter, on les réduit à une forme de divertissement « exotique ».

Appropriation ou assimilation

Dans le reportage sur le yoga, The Rebel Media – la plateforme souvent raciste, islamophobe et homophobe d’Ezra Levant – demande pourquoi personne n’est outré que les cultures minoritaires et marginalisées « s’approprient » la culture dominante.

La question même trahit une ignorance profonde : une culture colonisée ne s’approprie pas la culture dominante; elle est contrainte de s’y conformer.

Un groupe minoritaire est perpétuellement sous pression d’abandonner ses coutumes pour s’intégrer dans les structures socio-économiques du groupe dominant. Les communautés francophones au Canada connaissent bien l’impératif de l’assimilation linguistique (quoique le français perdure aisément en contraste aux langues autochtones).

Mais l’assimilation ne se limite pas à la langue. Le marché du travail, contrôlé par la culture majoritaire, impose des coutumes vestimentaires telles que le veston-cravate, au détriment des vêtements traditionnels. Les cuisines se transforment ou s’américanisent pour être rentables ou compatibles avec le rythme de la société. Même les relations romantiques sont l’objet d’impératifs structurels et culturels qui affectent notre rapport au monde.

Bref, les groupes minoritaires interagissent nécessairement avec la culture majoritaire. On ne peut être surpris à ce qu’elle devienne leur culture aussi.

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