– Par Philippe Le Voguer –
J’écris en réaction à l’entrevue que le recteur de l’Université d’Ottawa, Allan Rock, a accordée à La Rotonde récemment. Dans cet entretien, M. Rock déclare fièrement qu’« une minorité d’étudiants paient la totalité de leurs frais [de scolarité] », faisant allusion aux bourses que certains reçoivent de diverses sources. Il ajoute aussi que l’endettement des étudiants n’est pas aussi répandu que ce que l’on pourrait croire. Sa justification : la valeur d’un diplôme sur le marché du travail vient compenser ces dettes. Dans ce cas M. Rock, vous devriez cesser d’utiliser le terme « étudiant.e.s » et plutôt le remplacer par « client.e.s ». Lorsque quelqu’un doit payer pour un service, il devient un consommateur. C’est donc dire que l’éducation est sur un pied d’égalité avec tout autre objet de consommation, tel une voiture, une piscine, un Iphone, etc. Or, cette affirmation est fausse. L’éducation n’est pas un privilège, c’est un droit fondamental! Vous le savez très bien M. Rock, le Canada est signataire du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), dont l’article 13 stipule clairement que « l’enseignement supérieur doit être rendu accessible à tous en pleine égalité, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés et notamment par l’instauration progressive de la gratuité ». Vous allez me dire que le contexte économique ne permet pas une telle chose et que les universités sont sous-financées. L’instauration d’un régime d’impôts progressif, en fonction des revenus des citoyen.nes et des entreprises, aiderait certainement à rétablir en partie l’équilibre. Mais c’est aussi parce que les universités s’éloignent de plus en plus de leur vocation première, c’est-à-dire l’enseignement! Depuis la dernière décennie, les budgets des universités dédiés à la recherche « externe » ont doublé au Canada. En 2008, elles étaient responsables de 38 % de la recherche et du développement (R & D) qui se faisait au pays et pour lesquelles elles ont reçu 11 milliards de dollars en fonds publics. Cet argent ne sert pas à améliorer la qualité de l’enseignement ou l’accessibilité aux études. Il aide plutôt les grandes compagnies privées à économiser des sous en recherche pour ensuite réaliser d’énormes profits avec les nouveaux brevets que les universités réussissent à développer. Eh oui, les universités sont des sous-traitants des grandes compagnies pharmaceutiques et technologiques, et c’est nous qui les finançons! Tout ça est très bien documenté dans le livre Université inc. publié aux éditions Lux, d’où j’ai tiré mes statistiques et que je recommande fortement comme lecture de chevet à M. Rock. Pourquoi pensez-vous que l’U d’O est obsédée avec le recrutement d’étudiants étrangers alors que son mandat devrait être de desservir l’Est ontarien, notamment la communauté franco-ontarienne? L’équation est simple…Plus de têtes = plus de cash = meilleur classement dans les palmarès d’universités = plus de têtes…vous comprenez. Bref l’université est devenue une entreprise, une usine à diplômes au service du marché du travail. Nos ami.e.s de l’autre côté de la rivière des Outaouais ont compris qu’augmenter les frais de scolarité diminue l’accessibilité et entraîne des inégalités sociales. Est-ce que nous, chèr.e.s « co-client.es » en Ontario, allons continuer de fermer les yeux sur cette injustice?