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Par : Yasmine El Kamel-Journaliste
Pour notre le dernier guide de notre série, Dr. Ummni Khan, titulaire de la Chaire conjointe en études des femmes à l’Université de Carleton et à l’Université d’Ottawa, répond à nos questions sur la manière dont la culture du viol s’immisce dans notre quotidien et notre société.
Chaque personne ne devrait-elle pas avoir un devoir civique à venir en aide aux victimes d’agression sexuelle ?
Oui ! Pendant très longtemps, on faisait taire les victimes de violence sexuelle ou encore pire, on les blâmait pour la violence qu’ils/elles avaient subie. Nous sommes maintenant dans une période d’espoir. La perversion de l’agression sexuelle et ses effets sont davantage reconnus dans notre société. Les personnes ont une gamme de réponses face à l’agression sexuelle. Quelques-uns peuvent être atteints du SSPT (Syndrome de Stress post-traumatique), d’autres peuvent se rétablir rapidement. Il est ainsi important de ne pas « essentialiser » l’impact de l’agression sexuelle.
Faudra-t-il multiplier les initiatives pour aider les victimes à se défendre ?
Je pense en effet que les programmes de prévention à l’agression sexuelle, tels que les cours d’autodéfense, peuvent être très utiles. Toutefois, il faut faire attention à cela. On ne veut pas non plus mettre toute la responsabilité sur la victime, en lui faisant subir le fardeau de la prévention. On doit également avoir des formations pour les spectateurs d’agressions sexuelles et des formations sur le consentement pour aider les gens à développer une intelligence émotionnelle, des limites et une empathie.
Les campagnes de sensibilisation anti-viol sont-elles efficaces ? Y en a-t-il assez ?
Je pense que tous les efforts peuvent aider. Il y a toutefois beaucoup de débats sur les raisons d’origine d’agressions sexuelles. Certains pensent que c’est surtout l’ignorance et un manque de conscience sur l’importance du consentement. D’autres pensent que la majorité des agressions sexuelles sont perpétrées par quelques prédateurs en série. En vérité, personne n’a la formule magique pour prévenir les agressions sexuelles. Je pense toutefois qu’il est important qu’on essaye différentes tactiques et on ne doit pas diaboliser les prédateurs. Il faut comprendre que la violence n’est pas uniquement un problème individuel, mais bien un large problème sociétal.
Devrait-on en parler davantage dans les milieux académiques ?
Oui ! Je pense qu’il est important de créer des espaces pour parler du harcèlement sexuel, de l’abus et de la violence à tous les niveaux éducationnels. Mais en même temps, je ne veux pas que toutes les discussions sexuelles se concentrent uniquement sur la violence et sur la prévention de celle-ci. Des discussions sur la sexualité positive, sur le droit au plaisir, surtout pour ceux à qui on a appris qu’ils n’avaient pas droit au plaisir, seraient également importantes. Je pense qu’on devrait passer plus de temps à parler de plaisir, et créer les conditions pour le plaisir sexuel, enthousiasmer le consentement et l’exploration (pour ceux qui désirent le faire).
La pornographie favorise-t-elle la culture du viol ?
Il y a quelques études qui montrent que la consommation de la pornographie a des effets négatifs à court terme sur les attitudes envers les femmes. Selon mes recherches, il n’y a pas d’études qui supportent la présence d’effets négatifs sur le long terme. La pornographie est une cible facile, et c’est bien aussi sexiste que toute autre forme de média traditionnelle. Mais je ne dirais pas que la pornographie est pire. Elle peut avoir des effets bénéfiques comme pour les minorités sexuelles qui ont accès à de la pornographie qui affirme leurs désirs. Il y a de la pornographie queer, de la pornographie féministe et de la pornographie basée sur les femmes également. Si on veut adresser les incidents de violence sexuelle, je pense que c’est mieux de se concentrer sur ses prédateurs, sur ce qui les a motivés, et comment on pourrait les réhabiliter.
La culture du viol est-elle implicitement présente dans les films et séries ?
Je pense que c’est compliqué. Quelques personnes diront que la série télévisée Game of Thrones supporte la culture du viol. D’autres diront que c’est la série TV la plus féministe parce qu’elle a de forts personnages féminins et montre les femmes non seulement lutter contre la violence sexuelle, mais souvent même, vaincre leurs prédateurs. Les films peuvent aussi être la place pour de la fantaisie. Par exemple, l’histoire 50 Shades of Grey montre un scénario qui ne serait pas sain ni positif dans la vraie vie, mais de nombreuses femmes ont trouvé le film et les livres très appréciables. Ceci ne veut pas dire qu’elles veulent ce genre d’homme comme copain ou mari, mais plutôt que c’est une réalité alternative agréable, qu’elles peuvent se livrer au niveau de la fantaisie.
Le féminisme a-t-il son rôle à jouer, et de façon plus cohésive, l’humanisme ?
Le féminisme a un important rôle à jouer pour continuer d’analyser le sexisme et le fait de blâmer la victime, dans la loi et dans la société. On ne veut pas dire que les coupables d’agressions sexuelles sont des monstres. C’est important de réaliser qu’on est tous formés, du moins en partie, par nos normes sociétales. L’éducation, la réhabilitation et la réintégration des prédateurs doivent donc aussi être des objectifs féministes, tout comme le fait de supporter les victimes et s’assurer d’avoir les ressources nécessaires pour un procès juste et légal, pour celles qui le souhaitent.