– Par Ghassen Athmni –
Industrie peu connue du public, la lutherie, ou l’art de confectionner les instruments de musique, est une discipline qui nécessite rigueur et minutie, tant l’architecture des instruments peut avoir un impact sur leur utilisation par les musiciens.
Une région spécialisée dans les cordes
L’Outaouais et la vallée d’Ottawa sont des régions connues pour avoir des scènes folk et bluegrass relativement importantes, deux styles de musique ayant fréquemment recours à des instruments acoustiques tels que les violons et autres cordes, les mandolines, les banjos, voire les dulcimers et les autoharpes, des instruments dont les sonorités sont étroitement liées à l’architecture et aux matériaux utilisés pour la confection. D’autre part, la ville d’Ottawa abrite l’orchestre du Centre national des arts du Canada, l’un des orchestres les plus importants du pays, dont les musiciens ont souvent besoin de réparer et de restaurer leurs instruments. Tous ces facteurs suggèrent que la région ne manque pas d’ateliers de lutherie pour la production et la remise à neuf d’instruments. Cela est relativement vrai pour les cordes, avec quatre ateliers de production et de restauration du coté ontarien (Peter Dawson Violins, Guy Harrison, Fine Strings et The Sound Post) et un atelier à Aylmer (Peter March). En revanche, les amateurs de guitares faites main ne pourront trouver qu’un seul spécialiste local, aux ateliers Valhalla Guitars. Outre les ateliers de production, certains magasins d’instruments, comme Spaceman Music et le Ottawa Folklore Center offrent des services de réparation de guitares, mandolines, banjos et ukulélés.
Les fabricants de violons, violoncelles et assimilés, malgré la concurrence de Montréal, ne servent pas seulement la région. « Nous recevons beaucoup de commandes de l’Ouest, des Prairies et des États-Unis », explique Charline Dequincey, collaboratrice de Guy Harrison. « C’est un métier qui demande beaucoup d’investissement, beaucoup de passion. Cela implique aussi une bonne gestion des étapes de production et savoir qu’on peut rencontrer des difficultés à joindre les deux bouts », ajoute la jeune luthière.
Une industrie à développer et à diversifier
Comparées à des villes comme Montréal ou Québec, Ottawa et Gatineau accusent indéniablement certains manques au niveau de la lutherie. C’est surtout la diversité qui manque dans la région ; par exemple, un luthier professionnel spécialisé dans les guitares électriques est introuvable, de même pour les bois et les cuivres classiques. Selon Brendan Allistone du Ottawa Folklore, « pour certains instruments comme les dulcimers et les banjos, il est malheureusement difficile de trouver des modèles faits main dans la région. La plupart des anciens fabricants ont mis la clé sous la porte il y a des décennies, surtout à cause de la concurrence de la grande industrie américaine. »
« Moi-même je ne peux pas faire réparer mon accordéon à Ottawa, j’ai besoin de me déplacer à Montréal pour le faire », avoue Charline Dequincey. Alors qu’il est facile d’accéder à un service de réparation ou de restauration pour les cordes et les guitares, plusieurs instruments sont difficiles à remettre à neuf dans la région: certaines réparations demandent des déplacement au sud de l’Ontario ou à Montréal, d’autres obligent les instrumentistes à envoyer leurs outils de travail aux Etats-Unis. « Pour les dégâts majeurs, nous sommes obligés d’envoyer nos instruments en Pennsylvanie », explique Angela Schleihauf, hautboïste et étudiante en musique à l’Université d’Ottawa.
L’École nationale de lutherie, la seule école publique de lutherie du Canada, dispense un programme de trois ans en collaboration avec le Cégep Lilmoilou à Québec, menant à la certification en lutherie. Le fait que la seule école du Canada se trouve à Québec pourrait expliquer la disproportion dans la répartition des luthiers: en effet, plus de 30 ateliers sont localisés à Québec, alors qu’il n’en existe qu’une demi-douzaine à Ottawa-Gatineau. « La majorité des anglophones traversent la frontière ou vont en Grande-Bretagne pour faire leurs études en lutherie », explique Dequincey. « Un grand nombre de luthiers canadiens travaillent aux États-Unis ou en Europe parce qu’ils y ont fait leurs études et aussi parce que le marché y est plus dynamique », confirme Brendan Allistone.